Droit d'asile: «Savoir et se taire est grave»
Paru le Lundi 06 Avril 2009INTERVIEW - La présidente de l'Observatoire suisse du droit d'asile et des étrangers souligne la dureté des lois actuelles et la nécessité de coopérer au niveau européen.
Après l'échec de leur référendum en 2006, les opposants à la nouvelle loi sur les étrangers (LEtr) et la révision de la loi sur l'asile (LAsi) sont ébranlés: soixante-huit pour cent des Suisses ne les ont pas suivis. Ils décident de surveiller l'application des deux lois et créent des Observatoires régionaux du droit d'asile et des étrangers. Depuis, ces organismes répertorient des cas concrets qui montrent l'ampleur des problèmes provoqués par cette législation et les situations inhumaines qu'elle suscite. L'ancienne conseillère nationale Ruth-Gaby Vermot (PS/BE) préside l'Observatoire suisse qui rassemble et diffuse les données recueillies par les observatoires régionaux1. Entretien.
Au même temps que vous présentez un bilan dramatique des lois actuelles, la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf annonce un nouveau durcissement.
Ruth-Gaby Vermot: Elle donne un signal: elle reste ferme, dans la même logique que l'UDC, mais ses propositions sont alarmantes. Par exemple ne plus accepter la désertion comme motif d'asile, alors qu'il est clair que renvoyer un objecteur de conscience ou un déserteur peut lui coûter la vie. Mme Widmer-Schlumpf envisage aussi d'interdire le dépôt de demandes d'asile dans les représentations suisses à l'étranger. Des pays n'offrent pas cette possibilité, certes, mais cela n'empêche pas la Suisse d'être un exemple en la matière. En 2008, 8% de ces demandes ont été acceptées. Les personnes concernées ont pu gagner la Suisse sans utiliser les «services» d'un passeur et les dangers que cela implique.
Et les deux autres mesures envisagées?
On entend interdire l'action politique des requérants. C'est s'attaquer à leur liberté d'expression et d'opinion, mais aussi à celle des Suisses. Ils pourraient être inquiétés s'ils les aident. Le quatrième point est encore plus invraisemblable: il s'agit, pour les requérants déboutés qui s'opposent à leur expulsion, de prouver eux-mêmes que le renvoi est impossible. Comment le pourraient-ils, sans mobilité, avec très peu de moyens et de possibilités de communication? Les deux lois sont entrées en vigueur progressivement, entre 2007 et 2008. Sur le sujet du code pénal pour les mineurs, Mme Widmer Schlumpf a affirmé qu'il fallait trois à quatre ans pour mesurer les effets d'une législation. Pourquoi donc s'attaquer à la loi sur l'asile après une année?
Ce d'autant plus que les cas recueillis par l'Observatoire montrent les répercussions des lois actuelles.
Oui. L'Observatoire suisse publie les données que recueillent les Observatoires régionaux. Il les relaie dans les médias, auprès des politiques et des administrations nationale et cantonales. Ces documents sont des cas avérés et vérifiés, ils peuvent sensibiliser la population et motiver les autorités à revoir des lois qui sont souvent en conflit avec les conventions internationales, notre propre Constitution et l'état de droit. Je pense qu'une grande part de la population ne souhaite pas que la Suisse viole ses propres engagements.
Le droit international comme levier? On sait qu'en Suisse il ne fait pas barrage au populisme.
Oui et c'est malheureux! Mais il y a quand même des citoyens qui entendent nos arguments et se laissent toucher par des cas concrets, qui, aussi, ne veulent pas faire du droit un non-droit. Avec les cas bien documentés dont nous disposons, nous pouvons faire comprendre qu'on ne peut pas traiter les requérants comme des criminels! Quand je parle à des gens partiellement informés, je leur explique la situation d'une famille avec deux enfants qui doit vivre avec l'aide d'urgence, soit 504 francs par mois. Elle ne connaît personne, est isolée, vit dans un logement minuscule souvent inadapté aux enfants Ceux-ci n'ont fréquemment plus le droit d'aller à l'école, car la famille attend d'être renvoyée dans son pays d'origine ou un pays tiers. Ces gens à qui je parle se rendent compte que ces demandeurs d'asile ne veulent pas «abuser» de la Suisse et que les lois sont bien trop sévères.
Le travail de l'Observatoire défait l'amalgame autour d'étrangers «qu'on ne voudrait pas». Les cas répertoriés montrent qu'il s'agit d'êtres humains.
Vous avez notamment vu des inégalités dans la gestion des cas de rigueur, qui peuvent permettre une régularisation.
Suivant les cantons, c'est une loterie. En Suisse romande, ça se passe plutôt bien, des personnes sont admises provisoirement ou obtiennent un permis B. En Suisse alémanique, par contre, les différences sont énormes entre les cantons. Un requérant attribué à Genève ou au canton de Vaud a plus de «chance» qu'à St-Gall, et beaucoup plus qu'à Zurich ou à Schaffhouse. Selon la loi, c'est une discrimination puisque les personnes ne sont pas traitées également et que les mêmes données sont interprétées différemment. Une autre disparité concerne l'accès à la santé. Chaque personne en Suisse pour plus de trois mois doit être assurée contre la maladie. Certains cantons assurent les requérants, d'autres ne le font pas. C'est dans le lieu où les requérants habitent qu'on leur permet ou non d'aller voir un médecin. On ne peut pas demander à quelqu'un qui n'est pas médecin de se prononcer sur un tel besoin.
Et les conditions varient aussi pour l'aide d'urgence.
L'aide d'urgence est seulement une possibilité prévue par la loi. Si un recours est pendant, par exemple, le canton peut laisser la personne concernée à l'aide sociale. Cette décision appartient aux cantons mais la Constitution exige que la dignité de l'être humain soit maintenue. Or l'aide d'urgence, telle qu'elle est utilisée, va à l'encontre de cet impératif. Comment une famille avec deux enfants peut-elle vivre dignement avec 504 francs par mois? C'est la condamner à une existence de mendicité; cette somme représente moins du tiers de ce que toucherait une famille qui, dans le même cas, bénéficierait de l'aide sociale.
Ces mesures ont-elles un effet sur le nombre de requérants?
Non. Si la situation s'aggrave dans certains pays, comme l'an passé, un plus grand nombre de personnes cherchent asile en Europe et en Suisse. La semaine dernière, plus de 200 personnes faisaient naufrage en Méditerranée. En tant que membre du Conseil de l'Europe, j'ai visité Lampedusa, en Italie. C'est une catastrophe humaine: les gens sont humiliés, les soins sont rudimentaires. Les Européens ferment les yeux et la Suisse ferme ses portes. La Suisse ne peut pas régler la question de l'asile et des étrangers seule. Une coopération avec les autres pays d'Europe est nécessaire pour une gestion humanitaire commune. Au lieu de renvoyer les gens vers l'Italie ou l'Espagne, la Suisse doit faire preuve de solidarité avec l'Europe du Sud, débordée par cet afflux. Dans les pays d'origine, il faut aussi investir dans la résolution de conflits et l'aide au développement.
Les conclusions de l'Observatoire atteignent-elles les parlementaires?
En partie, mais cette thématique interpelle peu. Ce désintérêt est alarmant car il implique qu'on accepte l'injustice et l'atteinte à la dignité de ces personnes. Savoir et se taire est grave; les élus et l'administration doivent prendre nos observations en compte et admettre que nous risquons de bafouer nos engagements. Il ne faut pas seulement être catastrophé mais agir. C'est pour cela que le travail des observatoires régionaux est inestimable. Grâce aux cas qu'ils documentent, nous pouvons montrer des situations réelles. Personne ne peut accepter qu'une mère étrangère non mariée soit expulsée avec son enfant, ce qui le sépare de son père suisse. Dans un tel cas, le «respect de la vie familiale» que demande la Convention des droits de l'homme est foulé aux pieds. I
Note : www.odae-suisse.ch et www.odae-romand.ch
Chroniques de l'injustice ordinaire
Ubuesques, absurdes et inhumains: difficile de ne pas frémir quand on prend connaissance des 72 cas que relaye l'Observatoire suisse du droit d'asile et des étrangers. Chacun fait l'objet d'une fiche qui résume la situation d'une personne ou d'une famille, détaille les démarches effectuées et souligne les enjeux que soulève le cas. Florilège partiel. Que dire de la décision de renvoyer une fillette, naturalisée suisse, parce que sa mère est sans statut légal, la privant ainsi de son père (cas 009)? Ou de la situation d'une fille de 7 ans et de sa mère, retenues pendant quarante-sept jours dans la zone de transit de l'aéroport de Cointrin avec, en tout et pour tout, deux sorties à l'air libre d'une demi-heure (cas 046)? Ou encore de ce garçon de 8 ans, orphelin de mère, quasiment livré à lui-même en République dominicaine mais dont on refuse qu'il rejoigne sa tante en Suisse (cas 066)? Des contradictions? Elles ne manquent pas: la nouvelle loi obligeant le requérant à présenter des papiers d'identité dans un délai de quarante-huit heures, un ressortissant ougandais se voit frappé de non-entrée en matière. Seul problème, l'Ouganda ne délivre pas de cartes d'identité; quant aux passeports, ils sont uniquement accordés aux puissants (cas 031). On pourrait poursuivre longtemps la litanie. On renverra seulement le lecteur au site de l'Observatoire, en lui signalant qu'une série de fiches illustre les dangers du projet de révision Widmer-Schlumpf, donnant des exemples de demandes légitimes que celui-ci interdirait. BPR
Vivre Ensemble fait peau neuve
La semaine dernière, l'association Vivre Ensemble présentait la nouvelle maquette de sa publication. Active depuis vingt-cinq ans, elle fait le lien entre les différents acteurs du domaine de l'asile et sensibilise également le grand public.
Au programme, une mise en page plus aérée et une nouvelle rubrique qui met en lumière les conditions d'un pays d'émigration (dans ce numéro, le Nigeria). La future révision de la loi sur l'asile est bien évidemment largement évoquée dans le dernier numéro, qui détaille la situation des déserteurs érythréens et dénonce la volonté d'interdire une activité militante aux requérants.
L'association gère aussi un centre de documentation sur l'asile et publie une liste des parutions sur le sujet. BPR
Note : Numéro 122 (avril 2009) consultable sur le site de l'association www.asile.ch.
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