Les populations obligées de fuir leurs habitations à cause des conséquences du changement climatique n'ont aucun statut juridique au regard du droit international. Or le problème va aller grandissant. Un article de Laure Daussy dans le Figaro.
En octobre dernier, le gouvernement des Maldives a effectué un conseil des ministres sous l'eau, afin de sensibiliser la communauté internationale au réchauffement climatique : L'archipel risque de disparaître sous le niveau de la mer dans moins de 100 ans.
Un État entier qui disparaît sous les eaux. C'est ce qui risque d'arriver aux Maldives dans une centaine d'années, si le niveau de la mer continue de s'élever à cause du réchauffement climatique. Leurs îles rayées de la carte, les 400.000 habitants seraient alors obligés de s'installer dans un autre pays. Cet événement sans précédent dans l'histoire de l'humanité poserait une question : quel statut donner à ces futurs déplacés ?
Selon un rapport de l'ONU, 20 millions de personnes ont fui en 2008 leurs lieux d'habitation suite à des catastrophes climatiques liées au réchauffement de la planète. Environ 80% d'entre elles se sont déplacées à l'intérieur de leur propre pays, comme au Bangladesh, «où les populations du sud fuient les tempêtes et les inondations vers le nord, et affluent dans des bidonvilles, sans aucune aide» explique François Gemenne *, spécialiste des migrations environnementales. D'autres, quelque 20%, se sont déplacées en dehors de leur propre pays. C'est le cas des habitants du Nicaragua et du Honduras qui ont fui le cyclone Mitch en 1998 en s'installant illégalement aux Etats-Unis. C'est le cas aussi en Afrique, où des populations qui fuient la sécheresse s'installent dans un pays voisin ou émigrent , le plus souvent clandestinement,en Europe.
Or le problème va aller grandissant. En 2050, le nombre de personnes forcées de se déplacer devrait être de l'ordre de 200 ou 250 millions, selon les estimations de l'office international des migrations (OIM). Seraient concernées les populations fuyant l'avancée du désert de Gobi en Chine, les inondations dans le delta du Bangladesh, le delta du Nil, ou encore la submersion de certains archipels. «Ces chiffres sont à prendre avec précaution», nuance toutefois François Gemenne. Il est quasiment impossible pour l'instant de faire des estimations précises.» Les conséquences du réchauffement climatiques sur la planète sont déjà difficiles à connaître précisément, il est donc encore plus délicat d'en prévoir précisemment des conséquences migratoires.
Quel que soit le nombre, le problème est déjà là : jusque ici, ces migrants environnementaux n'entrent dans aucune «case» du droit international. La Convention de Genève de 1951 définit précisément le concept de réfugié, comme étant «une personne victime de persécution», ou voulant «fuir une zone de guerre», explique Jean François Durieux, responsable du changement climatique au Haut-commissariat des Nations-Unis pour les réfugiés (HCR). Les déplacés climatiques n'entrent donc pas dans cette définition. Or, le statut de réfugié permet d'obtenir certains droits, comme la garantie de ne pas être renvoyé dans le pays où sa vie peut être menacée, le droit au travail, au logement. «Autant de garanties auxquels les réfugiés climatiques ne peuvent pas prétendre», explique Christel Cournil **, chercheuse à l'Iris, spécialiste du statut des réfugiés.
3000 Tuvaluens ont fui leur île
Si la notion de réfugié climatique est complexe à délimiter - d'autres facteurs , économiques notamment pouvant venir se rajouter - les agences internationales ont bien conscience des problèmes que pose ce vide juridique. Or, «jusqu'ici, les États rechignent à réfléchir au sort des déplacés climatiques», déplore Jean-François Durieux. Conscients des coûts et des problèmes que cela posera, les États ont peur d'être obligés d'accueillir davantage de migrants. «Tout ce qui touche aux migrations internationales est actuellement tabou» constate-t-il.
Quelques pistes sont déjà envisagées par les chercheurs et les ONG. La définition du réfugié inscrite dans la Convention de Genève, pourrait être élargie, afin d'y intégrer des causes climatiques et non plus seulement la notion de persécution. «Le risque est de créer une concurrence avec le réfugié politique, déjà difficile à obtenir» souligne Jean-François Durieux. Une protection spécifique des déplacés climatiques pourrait par ailleurs être créée, indépendante de la Convention de Genève, associée par exemple aux textes de l'Onu sur le climat. Mais, à l'heure où les pays ont du mal à trouver un terrain d'entente pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, il semble pour l'instant difficile de trouver un consensus sur la question.
La piste «la plus réaliste», selon Jean-François Durieux, serait des conventions d'Etat à Etat, «sur le modèle de ce qui est déjà mis en place entre les îles Tuvalu, menacées par la montée des eaux, et la Nouvelle-Zélande». Il ne s'agit pas encore d'accords de migration environnementale, mais de migration économique : ils permettent aux Tuvaluens de partir travailler en Nouvelle-Zélande. De fait, plus de 3000 Tuvaluens sur les 11 000 habitants de l'archipel ont déjà émmigré en Nouvelle-Zélande, par peur d'être enseveli sous les eaux.
* Auteur de «Géopolitique du changement climatique», aux ed. Armand Colin.
** Auteure de «Le statut interne de l'étranger et les normes supranationales.» (Ed L'Harmattan).
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