mercredi 25 novembre 2009

Les “braves gens” commencent à me faire peur

Trouvée dans le courrier des lecteurs de 24 Heures, cette lettre de Monsieur Hachemi Ayad, de Lausanne.

Je ne suis pas très religieux et ne vote pas dans ce charmant pays. Mais ce qui est difficile à y gérer ces temps-ci, pour une personne qui s’appelle comme moi Hachemi, c’est d’être confronté à une suspicion croissante de la part d’un nombre étonnant de «braves gens» (parfois encouragés, il est vrai, par la méchanceté et des préjugés distillés et nourris comme par capillarité).

Et dire que, diplômé avec mention de la Sorbonne, j’avais précisément quitté la France pour échapper à tout cela, trouvant les Suisses généralement plus éduqués, plus courtois, plus honnêtes et plus sincères que nombre de mes compatriotes «gaulois»!

Ces jours-ci, je songe souvent: — à mon «païs» Saint Augustin, considéré comme le père de l’Eglise latine, — au curé de mon enfance (je fus enfant de chœur dans un petit village des Hautes-Alpes, près de Gap), à mes instituteurs républicains qui m’éduquèrent pour une société idéale où tout le monde finirait bien par être beau et gentil (comme aurait dit Jean Yanne), — à tous ces textes et ces conférences que je fis pour enseigner tolérance, respect d’autrui et savoir-bien vivre ensemble, — à mon mariage dans une cathédrale, avec une fille de famille «catholique radicale», — à mes enfants, tous baptisés selon le rite romain, suivant le vœu respectable et respecté des belles-familles, — au regard oblique dont me gratifient parfois fonctionnaires, douaniers ou policiers (suisses ou français) qui contrôlent mes papiers, quand je m’avise de faire une démarche ou de traverser la frontière, dans un sens ou dans l’autre, — au bureau que j’ai enfin pu créer dans le canton de Vaud, après m’y être fait gravement exploiter et spolier d’indicible façon, sous le regard complice de Ponce Pilate «de qualité» (pas seulement des Suisses, loin s’en faut), de droite comme de gauche, tous corps de métiers confondus,

— à mes aimables clients, pour la plupart étrangers, dont je m’efforce d’attirer en Suisse capitaux et technologies, qui viennent y créer des entreprises ou investir dans son économie, créer des emplois, payer des impôts.

Ne m’en veuillez pas trop, mais je n’ai plus 20 ans, et quelle que soit la direction (religieuse, laïque ou politique) vers laquelle je me tourne, les «braves gens» commencent sérieusement à me faire peur.

Un jour peut-être, quand je serai las d’être systématiquement mis au pied du foulard, de la burqa ou du minaret, je dirai par le menu détail mes années helvétiques, dans un ouvrage hot, qui pourrait s’appeler «Les aventures d’un mouton noir au Pays de Guillaume Tell».

En attendant, je vais faire mes paiements.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Bonjour,
En écrivant au journal le "24 heures" pour dire (n° du 25 novembre 2009) ma préoccupation quant aux réactions que pouvait ces derniers temps susciter la simple possession d'un nom et d'un prénom particuliers, je ne m'attendais assurément pas à lancer dans ce quotidien une manière de ...concours de l'intégration !

Entre autres spéculations de désagréable perception, un certain M. Nabil Malek est venu péremptoirement affirmer (n° du 5 décembre 2009) : "M. Ayad se dit préoccupé par la montée possible d’un «anti-islamisme radical» en Suisse".
Or, en dépit des guillemets dont M. Malek les a assortis, il est patent que je n'ai jamais utilisé les mots «anti-islamisme radical». Ceci m'a donné la fâcheuse impression (mais peut-être me trompé-je) d'une intention malicieuse, consistant à araser sans façon mon propos pour abusivement le remodeler à convenance (de l'"isme", comme suffixe poisseux de la guérilla sémantique islamophobe ordinaire).
M. Nabil Malek a beau me suggérer à sa manière (merci de la bonne intention, qui comme chacun sait, peut être très chaudement pavée) de n'avoir pas peur ("Que M. Ayad n’ait pas peur"), de compter sur la protection de la démocratie helvétique ("cette démocratie protège le pays"), d'évoquer le "peuple souverain" (celui dont le scrutin vient précisément de déstabiliser la Suisse) et la sagesse des braves gens ("les «braves gens» sont en général très sages"), le souci que j'exprimais n'a fait qu'anticiper ce qui a jailli des urnes lors de la votation sur les Minarets. Je ne songe pas ici aux conceptions architecturales des uns ou des autres, mais au climat détestable que ce scrutin a révélé et dont les conséquences en Suisse et dans le monde ne me paraissent pas spécialement de bon augure.
L'antienne consistant à évoquer ce qui se passe dans d'autres contrées m'est irrecevable : variété de français par filiation et citoyen UE, je n'accepte pas que l'on puisse essayer de m'en rendre comptable ("Pensez-vous que cela serait possible au Caire, à Riyad ou encore à Alger ou à Damas?") et cela ne saurait de toute façon justifier ce qui ne peut l'être au regard des engagements internationaux de la Suisse en matière de droits de l'homme.

Je ne nie pas l'importance des problèmes liés à ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler la "multiculturalité", mais il me semble qu'il y a d'autres moyens de les régler que de se laisser intoxiquer par la peur, la haine, l'exclusion et le rejet.
En dépit des terribles difficultés rencontrées lors de mon installation en Suisse (pour la plupart liées à ma vulnérabilité extrême de l'époque : les bilatérales n'étaient pas encore entrées en vigueur, j'ai survécu en Helvétie en m'y faisant dramatiquement exploiter durant les premières années), j'aime sincèrement ce beau pays dont j'ai souvent eu à défendre les qualités à l'étranger, vantant en particulier l'extraordinaire capacité de sa population à travailler et à vivre bien ensemble, au-delà de ses frontières culturelles et linguistiques intérieures, dans le respect de ses minorités.
J'en étais presque venu à penser la Confédération Helvétique comme une clé prodigieuse pour une sorte de rédemption terrestre fraternelle de ce monde fragmenté, un modèle universel capable d'assurer la promotion et le rapprochement des êtres humains au lieu de les diviser.
 En attendant la Parousie naturellement.
N'était-ce vraiment là qu'un rêve ? Parfois me vient l'envie de fredonner avec tristesse un poème fameux de Baudelaire ("Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine, Qui vous mangera de baisers, Que j'ai gardé la forme et l'essence divine, De mes amours décomposés!").
Mais c'est bientôt Noël, chers amis Helvètes ! Depuis quelques jours, me reviennent en mémoire les vieux chants familiers de mon enfance, fort encourageants pour l'espérance: "Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté".

Civilités empressées.

Hachemi