Hani Ramadan, directeur du centre islamique de Genève, livre également son opinion concernant l’initiative anti-minarets, dans les colonnes de 24 Heures.
Puis-je vous parler de la Suisse vraie, de la Suisse authentique et profonde, celle que j’ai appris à connaître depuis que j’y suis né?
J’ai le souvenir d’une brave maîtresse d’école primaire, Mme Dubois, qui, après les cours donnés à l’Ecole Trembley à Genève, nous envoyait quelquefois faire les commissions d’une femme âgée et malvoyante. Cette dame enseignait dans une institution laïque, certes, mais, à travers son instruction, elle avait le mérite d’ouvrir nos petits cœurs à la détresse des plus démunis, au nom de valeurs chrétiennes ou humanistes qui ont nourri nos esprits d’une lumière ineffaçable.
Gamin, je rendais visite le samedi à mon ami Pascal, dont je devais apprendre bien plus tard qu’il était le petit-fils d’un journaliste suisse célèbre, René Leyvraz, père de Jean-Paul, qui fut également mon professeur de philosophie à l’Université de Genève. Sa grand-mère, Hélène Leyvraz, nous recevait et nous offrait un goûter fait de pain et de chocolat.
Un jour que du haut de mes 12 ans je m’abstenais de manger, elle m’en demanda la raison: «Je suis musulman et je jeûne.» Alors, elle me regarda droit dans les yeux et me dit: «C’est très bien d’avoir une religion qui impose ainsi des restrictions.» Son expression était volontairement admirative. L’expression qu’un adulte prend pour encourager un enfant.
Plus tard, je fis mon école de recrues. Ne pouvant pas consommer une viande illicite pour le musulman, j’emportai en fin de week-end quelques conserves pour la semaine. Je fus convoqué bientôt par un responsable gradé. Celui-ci me reçut avec le plus grand respect. Il me signifia que, puisque je ne pouvais consommer la viande proposée, il me restituerait la somme affectée quotidiennement à la nourriture de chaque recrue (5 ou 10 francs).
Je lui ai fait savoir que ce n’était pas nécessaire, mais j’ai été impressionné par les scrupules de cette administration, qui traite chaque individu selon ce qui lui est dû.
J’ai enfin un quatrième souvenir, beaucoup plus récent: un message relatif à l’initiative populaire «contre la construction de minarets» du 27 août 2008, signé par le président de la Confédération, Pascal Couchepin, et par la chancelière Corina Casanova. Le Conseil fédéral remarquait entre autres que dans les Etats voisins il n’existe aucune discrimination religieuse au niveau des mosquées.
«L’exposé de la situation juridique en Allemagne, en France, en Italie et en Autriche montre qu’aucun de ces pays n’applique de règles particulières à la construction de mosquées ou de minarets. L’érection et l’utilisation de ces édifices sont soumises aux dispositions générales en matière de construction et aux règles en matière d’aménagement du territoire, de protection des monuments, d’urbanisme et de nuisances sonores. Dans nul de ces Etats, la construction de minarets n’est interdite ni restreinte par rapport à celle d’autres édifices religieux.»
Aussi loin que l’on regarde, au niveau du peuple comme au niveau de ses responsables et de ses dirigeants, la Suisse rejette toutes les formes de discrimination. Il serait absurde aujourd’hui d’en faire, au sein de l’Europe, une exception se distinguant par des relents de xénophobie.
N’en trahissons donc pas les principes au nom de la peur et des préjugés.
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