lundi 23 février 2009

A Nyon, les hommes de l'abri survivent dans le doute

Ce groupe de Somaliens, après avoir perdu de nombreux compagnons de voyage en Lybie ou dans la Méditerranée, voient leur avenir avec grande inquiétude. Comment se passe la vie à l’abri des Oies, alors que huitante-sept requérants y cohabitent depuis pile une semaine? Reportage. Un article de Gilles Biéler dans 24 Heures, des photos de Alain Rouèche.

L’ambiance a changé. D’une trentaine lundi dernier, le nombre de requérants d’asile logés à l’abri PC des Oies, à Nyon, est passé à huitante-sept, vendredi. «Tout se passe très bien, dans un admirable respect mutuel», assure-t-on dans l’encadrement.

Dans leur chambre, les Erythréens racontent leur parcours. Expliquent que s’ils rentrent chez eux, ils iront en prison. Au mieux ... Du respect, oui. Mais les visages sont creusés, les regards souvent vides et les sourires rares. Ici, l’un se colle au radiateur, alors que dehors, un autre fait les cent pas autour d’une cabine téléphonique, tentant de joindre les siens, restés au pays. Ils viennent de loin, de Somalie, d’Irak, de Côte d’Ivoire, du Togo. Certains, dans leur périple, ont perdu les leurs, dans les prisons libyennes ou en traversant la Méditerranée. Tous arrivent en Suisse avec deux rêves simples et pourtant si évidents pour un Helvète rompu aux joies de la démocratie: la liberté et la sécurité. Beaucoup alors ne comprennent pas leur «confinement dans une cave sans fenêtre».

«On a vécu tellement pire»

C’est pas génial comme endroit, estime ainsi ce groupe d’Erythréens. Mais par rapport à tout ce qu’on a vécu ces derniers mois, c’est déjà beaucoup. On n’a pas trop froid, on mange, on rencontre d’autres gens…» La plupart d’entre eux ont transité par l’Italie, et ont pensé y trouver une nouvelle liberté. «Tout ce qu’on a reçu, c’est un document nous demandant de quitter le territoire dans les cinq jours. Et pas un euro pour se nourrir, ni même un lit pour dormir…» Alors ils ont poursuivi leur périple jusqu’en Suisse, sans savoir que  les accords de Dublin les renverraient sans doute en pays transalpin. Eux n’osent même pas l’envisager. «Sans logement ni travail… Sans rien, comment voulez-vous vivre en sécurité? On n’a pas quitté notre pays pour vos beaux yeux, mais parce qu’on avait peur pour notre vie!» Sans compter une certitude bien ancrée: «Revenir en Italie, c’est être quasi sûr d’être renvoyé en Erythrée.» Avec, assurent-ils, la case prison pour seule assurance. «Beaucoup de nos amis n’en sont jamais sortis», ajoute l’un d’eux, le regard grave.

Cette peur, palpable, de rentrer n’est évidemment pas l’apanage des seuls Erythréens. Tous, dans l’abri, ont craint pour leur vie. «Tant qu’on sera là, sans savoir où l’on sera demain, ce sera le cas», note un Ivoirien arrivé lundi. Et pourtant, s’il devait être refoulé, alors même qu’il est libre de quitter la structure des Oies à tout moment, il ne tentera pas la clandestinité. «Je suis venu ici pour être libre. Vivre avec sans cesse au cœur la peur d’être arrêté par la police ne présente aucun intérêt pour moi…»

A l’heure de quitter l’abri, certains requérants s’inquiètent, se demandent si leur témoignage ne leur vaudra pas «des ennuis avec le gouvernement». Plus loin, quelques rires résonnent. Enfin…

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