jeudi 8 janvier 2009

Retour forcé au pays, pieds et poings liés

MARC GUÉNIAT | 07.01.2009 | 00:00
Chut! Devant la cellule du centre de détention de Frambois, la troupe marque un temps d’arrêt. Le gardien sort une clé, la tourne rapidement par deux fois, puis s’écarte. Quatre inspecteurs s’engouffrent à toute vitesse et se ruent vers le lit où un homme s’est endormi paisiblement devant la télévision.

L’immobiliser ne pose aucun problème; c’est tout juste s’il comprend ce qui lui arrive. Cet Angolais se laisse «entraver», c’est-à-dire qu’on l’habille, lui passe les menottes, aux poignets et aux chevilles, avant de relier le tout. Normalement, un casque de boxeur fait partie de l’équipement. Mais puisqu’il n’oppose pas de résistance, ce désagrément lui est épargné. A la télé, la diffusion d’une émission consacrée au conflit qui sévit en République démocratique du Congo continue…

Effet de surprise

Opposé à son refoulement «volontaire», ce quadragénaire est renvoyé par la force. Selon l’Office des migrations (ODM), environ 400personnes par année quittent le territoire de la même façon, à bord de quelque 40 vols. «L’effet de surprise est déterminant afin d’éviter qu’ils ne s’automutilent pour différer leur départ, explique un inspecteur de la Brigade des enquêtes administratives (BEAD), que la Tribune a suivie durant plusieurs jours. CD, verre, les déboutés usent de tout pour retarder l’échéance. C’est pourquoi les jugements de renvoi ne fixent pas de date précise, uniquement un intervalle.

Tandis que se termine «l’empaquetage du client», un inspecteur emballe ses affaires et compte la somme qu’il ramène au pays. Ou essaie. Car les autorités locales, auprès de qui il sera remis, en profitent parfois pour se servir au passage. Il est environ 0 h 30 ce lundi soir de décembre lorsque cet Angolais est conduit vers le fourgon cellulaire où une cage de moins d’un mètre carré l’attend. Un autre détenu, sud-africain, est placé dans la cellule adjacente.

Deux destins, un vol

Dans le sinistre véhicule qui les emmène, silencieusement, à l’aéroport de Kloten, d’où partent la plupart des vols spéciaux, deux destinées se côtoient. L’Angolais a purgé une peine de quinze ans de prison à Genève pour le meurtre de sa femme. Le Sud-Africain, arrivé il y a trois mois, n’a connu que la détention en Suisse. Il n’y a pourtant commis aucun délit. Lui s’arrêtera au prochain arrêt, à Johannesburg.

A Zurich, une autre équipe de la BEAD les prendra en charge. Tôt dans la matinée, ils s’embarqueront avec quatre déboutés d’autres cantons dans un vol spécialement affrété par l’ODM pour renvoyer les récalcitrants. C’est-à-dire ceux qui ont déjà refusé de partir seuls, sur un vol de ligne. Le mardi en fin de journée, l’Angolais sera déjà en mains des autorités de Luanda. Le Sud-Africain le sera dans la nuit.

Une mission absurde?

Pour les policiers, cette mission a été menée de façon exemplaire, c’est-à-dire sans violence. Ce n’est pas toujours le cas. Dans 15 à 20% des cas, les entraves se passent mal, voire très mal. Et alors ils en viennent aux mains. Parfois, c’est l’administration qui «déraille». Ainsi, la semaine précédente, le refoulement d’un couple de Géorgiens était agendé, à 13 h le jour où monsieur achevait de purger sa peine pour cambriolages. Madame, elle, a été placée pendant vingt-quatre heures à Riant-Parc, le centre de détention pour femmes, «afin de coordonner le renvoi».

Sur le coup de 9 h, un fax de Champ-Dollon informe la BEAD que le mari ne sortira finalement qu’un mois plus tard. Les inspecteurs appellent aussitôt la prison pour exposer les faits. Rien à faire, le cambrioleur restera incarcéré. De toute façon, l’Office cantonal de la population s’en mêle peu après et refuse que l’épouse parte en raison de sa tuberculose. Il faudra tout recommencer dans quelques semaines: achat du billet d’avion, obtention du laissez-passer en Géorgie, mise en détention, etc.

«En soi, ce refoulement nous est égal, encore que monsieur ait un casier chargé, explique un inspecteur. Le problème, c’est que la BEAD est le dernier maillon de la chaîne judiciaire. Aussi, dès que l’un des maillons se fourvoie, nous travaillons dans le vide et gaspillons l’argent public. C’est souvent le cas. Il n’y a aucune coordination entre les différents services de l’Etat et notre mission en devient absurde.»

Source URL (Extrait le 08.01.2009 - 18:37): http://www.tdg.ch/geneve/actu/retour-force-pays-pieds-poings-lies-2009-01-06

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