mercredi 17 décembre 2008

Inégaux devant l'aide d'urgence

Lu dans swissinfo

Les requérants d'asile inégaux devant l'aide d'urgence

L'aide d'urgence dispensée aux requérants d'asile en instance de renvoi est inégalitaire et disparate, critiquent les milieux d'aide aux réfugiés. Principaux visés, les cantons tempèrent et soulignent que dans ce domaine, comparaison n'est pas raison.

Une «loterie». C'est ainsi que l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) qualifie la manière dont la Suisse traite les personnes dont elle a refusé la demande d'asile ou à propos de laquelle elle n'est pas entrée en matière.

En 2007, 7919 requérants ont ainsi dû faire leurs bagages. Avant de partir, ils ont pu bénéficier non plus de l'aide sociale - puisqu'il est possible de les en exclure depuis 2004 -, mais d'une aide d'urgence.

Le hic, c'est que les formes de cette aide varient d'un endroit à l'autre car elle est de la compétence des cantons. Concernant par exemple la nourriture et l'entretien, les sommes versées vont de 4,25 à 11,50 francs par jour.

Nombreuses à être fermées le jour, même en hiver, les structures d'accueil ne disposent pas toutes de machines à laver ou de cuisinières. Et le cas des Grisons, où certains requérants sont hébergés dans des containers, a récemment fait parler de lui.

Autre point noir, le Tessin, où la tendance est de refuser systématiquement l'aide d'urgence aux personnes jugées aptes à se débrouiller par elles-mêmes, comme l'a dénoncé mardi l'OSAR en présentant son rapport «Aide d'urgence pour les demandeurs d'asile déboutés».

Un «patchwork» problématique

Si l'organisation estime impossible de dresser un tableau global - et si elle se refuse donc à distribuer des bonnes et des mauvaises notes -, elle critique, à l'instar d'autres œuvres d'entraide telles que Caritas, ce «patchwork typique de la Suisse fédérale».

«Cela ne serait pas problématique si ce patchwork impliquait qu'une aide d'urgence minimale correcte soit accordée partout. Mais tel n'est pas le cas», relève le porte-parole de l'OSAR Yann Golay.

Il indique à cet égard que «plus on se dirige à l'est de la Suisse, plus les problèmes apparaissent». Quant aux cantons romands, leurs pratiques dans le domaine de l'aide d'urgence constituent plutôt des exemples à imiter.

Sur le plan juridique, la nouvelle loi acceptée par le peuple en 2006 avait certes pour objectif de rendre la Suisse moins attractive pour les requérants via le durcissement des conditions d'asile et la suppression de l'aide sociale. Mais, l'OSAR le souligne, Berne avait alors promis une aide d'urgence respectueuse de la dignité humaine. Ce qui est loin d'être la règle dans tous les cantons.

Cas de rigueur

Auteure du rapport, la juriste Muriel Trummer a cité plusieurs cas dans lesquels les autorités auraient dû s'abstenir de prononcer une exclusion de l'aide sociale. Comme celui de cette Congolaise placée dans un abri de protection civile schwytzois où elle était la seule femme et où elle ne disposait d'aucune douche séparée pour se laver.

Aux yeux de l'OSAR, les cantons disposent en fait d'un pouvoir d'appréciation assez large qu'ils n'utilisent pas assez. Ce faisant, ils violent l'article 12 de la Constitution, qui garantit un droit à l'assistance à toute personne en situation de détresse.

Lorsque l'Etat abandonne le terrain, ce sont les aides d'entraide, les églises et les privés qui prennent le relais. Un phénomène qui, à en croire l'OSAR, prend de plus en plus d'ampleur en Suisse.

«Aujourd'hui, nous demandons aux cantons de s'aligner sur une pratique qui corresponde à un octroi de l'aide d'urgence dans des conditions humaines», réclame par conséquent Yann Golay.

Rester à tout prix

Pour ce faire, inutile de se tourner du côté de la Confédération. Compétent en matière d'asile, l'Office fédéral des migrations (ODM) indique que les compétences liées à l'aide sociale et à l'aide d'urgence appartiennent aux cantons et que c'est aux tribunaux de vérifier la constitutionnalité de leurs pratiques.

Du côté de la Conférence des directeurs des affaires sociales (CDAS), qui réunit les ministres cantonaux en charge de ce dossier, on se réfère aux recommandations relatives à l'aide d'urgence émises à leur intention au printemps 2007.

«Dans ce domaine, il est difficile d'avoir une vue d'ensemble. Il faut être très prudent car les variations entre les cantons pourraient s'expliquer par des modes de calcul différents, indique la secrétaire générale de la CDAS Margrith Hanselmann. Nous ne prenons pas position sur le fond car nous venons de recevoir ce rapport, mais nous en ferons une analyse dans le courant de l'an prochain.»

Dans ces conditions, déterminer combien de requérants déboutés sont aujourd'hui dans une situation de détresse s'avère difficile. Dans son rapport, l'OSAR estime que 16'939 personnes étaient concernées par l'exclusion de l'aide sociale à fin juin 2008. Or seules 3500 d'entre elles ont eu recours à l'aide d'urgence.

Cela permet-il d'en déduire, comme le fait l'ODM, que les requérants ont tendance à obtempérer à leur décision de renvoi et à quitter la Suisse sans demander leur reste, et surtout sans opter pour la clandestinité? «Illusion», rétorque Beat Meiner, secrétaire général de l'OSAR.

«D'après notre expérience, on constate bien plutôt que les personnes qui prennent tant de risques pour arriver en Suisse entreprennent tout ce qui est en leur pouvoir pour y rester», souligne-t-il.

swissinfo, Carole Wälti

AUDIOS

TENDANCE À LA HAUSSE POUR 2008

D'ici fin 2008, la Confédération estime que le nombre des demandes d'asile se situera aux alentours de 13'000.

Par rapport à 2007, la tendance s'affirme donc à la hausse.

L'an dernier, Berne avait en effet reçu 10'844 demandes d'asile. 1537 avaient été acceptées. 2747 personnes avaient en outre été admises provisoirement.

A noter cependant que la moyenne des huit dernières années frise les 17'500 demandes annuelles.

Au niveau de la provenance, la plupart des réfugiés qui font une demande en Suisse sont originaires du Sri Lanka, de Somalie, du Nigéria, d'Erythrée et d'Irak.


CONTEXTE

En septembre 2006, plus de deux tiers des Suisses ont approuvé en votation la nouvelle loi sur l'asile et la loi révisée sur le séjour des étrangers.

La nouvelle législation autorise le renvoi dans les 48 heures de tout demandeur dénué de papiers d'identité en règle et qui ne peut donner de motifs valables pour son séjour.

Les demandeurs d'asile déboutés et qui ont épuisé toutes les voies de recours sont exclus de prestations de l'aide sociale et ne reçoivent qu'une aide d'urgence.

Actuellement, la capacité d'accueil des cantons est de 10'000 places environ. Il en faudrait 12 à 13'000 pour répondre aux besoins croissants.

Trois unités d'urgence ont été ouvertes près des centres d'enregistrement et de procédure (CEP) de Chiasso, Bâle et Kreuzlingen (Thurgovie).



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