Paru le Mardi 19 Août 2008 dans le Courrier
KARL GRÜNBERG
Opinion SUISSE - Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale se montre particulièrement sévère avec la Suisse, même s'il note quelques progrès.
La Suisse a rejoint en 1994 la lutte internationale contre le racisme.
En 1994, convaincus que «le racisme menace la démocratie»1, une large majorité de citoyennes et de citoyens adopte la norme pénale contre le racisme et permet à la Suisse de ratifier la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Convention). Cette impulsion permet la création, en 1995, de la Commission fédérale contre le racisme et d'ACOR SOS Racisme. Elle stimule le débat sur les rapports de la Suisse avec l'Allemagne nazie2 et la réflexion sur sa politique des étrangers3.
En revanche, les Chambres fédérales ont plus récemment voté la LEtr et la révision de la LAsi4, qu'avait proposées le Conseil fédéral inspiré par le vieil Überfremdungsdiskurs qui modèle en Suisse le «droit des étrangers»5, confortant le nationalisme raciste et xénophobe de l'UDC. Le consensus en faveur de la lutte contre le racisme s'est effrité et sa prévention est devenue un sujet de controverse. 73e session du CEDR. Examen du rapport périodique de la Suisse. Les 8 et 11 août 2008, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) a examiné pour la troisième fois un rapport périodique de la Suisse, la réponse des autorités aux recommandations qu'il avait formulées en 2002 au terme du précédent examen périodique6. Les mêmes, pour l'essentiel, qu'après le premier examen périodique de 1998. Les conclusions 2008 du CEDR sont les plus sévères qu'il ait formulées depuis dix ans.
En 2008, comme en 1998 et en 2002, l'audition d'une délégation des ONG précédait la discussion du rapport de la Suisse7. ACOR SOS Racisme participait pour la troisième fois à une telle délégation et annexait au rapport commun des observations reposant sur son expérience de défense des victimes8.
Deux avancées ont illustré cette troisième rencontre du CEDR avec les ONG. Le rapport des ONG9 a réuni une très large coalition. Pour la première fois, la Commission fédérale contre le racisme a pris part à cette rencontre en qualité d'organisme indépendant10. Qu'en est-il aujourd'hui de la lutte contre le racisme en Suisse? Conclusions du CEDR11. Le CEDR se réjouit que la Suisse ait reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des plaintes individuelles12, qu'elle ait institué le Fonds droits de l'homme et qu'elle ait créé le Service de lutte contre le racisme. Il note avec satisfaction l'introduction de modules d'éthique et de droits humains dans la formation des agents de police et la jurisprudence du Tribunal fédéral qui renforce la répression des propos et des comportements racistes.
Mais l'essentiel est ailleurs. Le Comité regrette le manque de progrès pour combattre les attitudes racistes et xénophobes à l'encontre de certaines minorités, notamment les Noirs, les musulmans, les gens du voyage, les immigrants et les requérants d'asile.
Il regrette que l'interdiction de la discrimination raciale ait dû être défendue contre des attaques répétées et contre des demandes visant à l'abolir ou à la restreindre. Il prie instamment la Suisse d'intensifier ses efforts d'éducation et de sensibilisation pour combattre les préjugés à l'encontre des minorités ethniques, en particulier aux niveaux cantonal et municipal.
Selon la Suisse, son système fédéral ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre de la Convention sur son territoire. Le Comité reste toutefois préoccupé par les incohérences dans la mise en oeuvre de la Convention et par le fait que les lois, politiques et décisions cantonales et communales pourraient être en contradiction avec les obligations auxquelles s'est engagé la Suisse en ratifiant la Convention. Il rappelle que le gouvernement suisse est responsable de la mise en oeuvre de la Convention. Le Comité note que la Convention fait partie intégrante du système juridique suisse mais reste préoccupé par le manque de législation et de politiques globales, aux niveaux civil et administratif, pour prévenir et combattre la discrimination raciale dans tous les domaines.
Le Comité relève avec préoccupation que la législation suisse ne contient pas de définition de la discrimination raciale conforme à la définition qu'énonce la Convention. Il invite par ailleurs la Suisse à retirer la réserve qu'elle entend pourtant maintenir à l'égard de l'article 2 de la Convention. Il note avec préoccupation la protection inadéquate, en Suisse, du droit de se marier et de fonder une famille pour les étrangers originaires d'un Etat non membre de l'Union européenne.
Le Comité est préoccupé par le recours au profilage racial, notamment dans les aéroports13. Insistant sur le caractère obligatoire de l'article 4 de la Convention, il invite la Suisse à envisager le retrait de sa réserve à cet article. Il recommande qu'elle adopte une législation déclarant illégale et interdisant toute organisation qui promeut le racisme et la discrimination raciale ou y incite.
Le Comité note avec préoccupation la croissance des allégations d'usage excessif de la force par la police sur le territoire de la Confédération, en particulier à l'encontre des Noirs. Il est recommandé à la Suisse de créer un mécanisme indépendant chargé d'enquêter sur les plaintes concernant des actes d'agents responsables de l'application des lois. La Suisse est instamment priée de prendre des mesures effectives et adéquates pour garantir aux étrangers et aux requérants d'asile les droits énoncés par la Convention. Le Comité est préoccupé par le fait que les gens du voyage restent soumis à de nombreux désavantages et à de nombreuses formes de discrimination, en particulier dans les domaines du logement et de l'éducation.
La Suisse, enfin, doit mettre en oeuvre les recommandations du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d'intolérance à la suite de sa visite de 2006, ainsi que les recommandations formulées par le Groupe de travail à l'occasion de l'Examen périodique universel en 2008.
La cheffe de la délégation suisse, Mme Schraner Burgener, expliquait au CERD que le Conseil fédéral est plus progressiste que le parlement qui l'est plus que le peuple. La preuve de cette polarisation? La LEtr permettrait une puissante politique d'intégration que le peuple ne comprendrait pas.
Les faits montrent évidemment le contraire. La LEtr, la LAsi ont été proposées par le gouvernement au parlement. Le consensus au sein du premier, la très large majorité du second les ont faits adoptées par deux tiers des citoyens. Dans les cantons romands une très forte mobilisation des milieux concernés a conscientisé la population. De très fortes minorités y ont rejeté cette régression du droit.
La tempête nationaliste et raciste que l'UDC14 a soufflée sur la Suisse ces dernières années a conforté l'approche selon laquelle «il s'agirait de savoir si (...) une législation contre le racisme n'entamait pas de manière excessive le droit des Suisses à la préservation de leur propre identité, respectivement à la délimitation par rapport aux étrangers15», l'idéologie qui refuse le séjour «aux ressortissants des pays qui n'ont pas les idées européennes (au sens large)16».
Le propos de l'ambassadrice recèle pourtant un grain de vérité. La LEtr améliore les mesures d'intégration que prévoyait l'ancienne Loi sur le séjour et l'établissement des étrangers. Les cantons mettent en place des bureaux de l'intégration des étrangers qui comprennent que la discrimination fait obstacle à l'intégration et qui soutiennent des projets, présentés comme innovants, qui priorisent la compréhension interculturelle et l'échange.
Ces projets, bien sûr sont positifs et doivent être soutenus. le CEDR a relevé par exemple l'intérêt des réalisations du canton de Vaud présentées par la délégation suisse. Mais ces projets ne répondront pas aux recommandations du CEDR et ne suffisent pas. Ils souffrent d'ignorer les victimes du racisme, la défense de leurs droits et de leur dignité que priorisent avec ACOR SOS Racisme les mouvements de terrain. Le Comité fixe un calendrier. Un mouvement contre le racisme ne devrait-il pas se former pour s'en saisir? Dans un an, la Suisse devra informer le CERD du suivi donné aux recommandations suivantes:
- adoption d'un plan national d'action et législation à tous les niveaux de gouvernement concernant la discrimination raciale, la xénophobie et d'autres formes d'intolérance;
- allocation de moyens financiers adéquats à la mise en oeuvre de la Convention;
- renforcement des moyens de la Commission fédérale contre le racisme et amélioration du dialogue avec cette institution;
- aucune mesure de sécurité ne doit avoir recours au profilage racial (délit de faciès), examen des informations cantonales concernées;
- adoption de critères de naturalisation conformes à la Convention excluant tout refus dû à la discrimination.
Les recommandations du CEDR sont ignorées depuis dix ans. N'est-il pas temps que les organisations qui s'engagent contre le racisme les fassent connaître, les revendiquent, mobilisent pour leur mise en oeuvre?
Nous étions des dizaines d'associations à présenter au CEDR un rapport alternatif. Nos observations ont contribué à la formulation des recommandations les plus sévères que le CEDR ait adressées à la Suisse. Ne devrions-nous pas organiser cet automne une conférence de tous les organismes concernés et mettre sur pied une campagne nationale qui revendique l'application des recommandations du CEDR et notamment:
- une loi générale contre le racisme;
- des lois cantonales pour les seize cantons qui en sont encore dépourvus;
- l'interdiction du profilage racial;
- le rétablissement du soutien financier aux organisations de terrain, de défense des victimes du racisme et notamment à ACOR SOS Racisme;
- le renforcement de la CFR et la mise sur pied d'une instance nationale de défense des droits humains.
KARL GRÜNBERG
ACOR SOS RACISME
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