Directive retour: l'Europarlement approuve le tout-expulsion
Le Parlement européen a adopté la "directive retour", mercredi. Un vote sans appel par 367 voix favorables, pour 206 voix hostiles et 109 abstentions. Le projet de directive a été adopté tel qu'il avait été validé par les gouvernements des Vingt-sept, puisque tous les amendements déposés ont été rejetés, avec plus de 100 voix d'écart à chaque fois.
Ce vote en séance plénière, à Strasbourg, clôture pourtant une négociation de plusieurs années, marquée par une grande hostilité, dans les Etats-membres comme au niveau des ONG actives à Bruxelles.
Depuis quelques jours, déjà, un brûlot signé du président bolivien Evo Morales circulait sur la Toile et dans plusieurs journaux européens. Morales y exhorte explicitement "les chefs d'Etat européens à abandonner cette directive".
D'où sort cette "directive retour"?
De l'agenda de la Commission européenne. Evaluant, sur la base des chiffres Eurostat, que le nombre de migrants ayant pénétré sur le territoire communautaire était passé de 590 000 personnes en 1994 à 1,85 million dix ans plus tard, Bruxelles a décidé de consolider sa politique de contrôle migratoire. Une vaste dynamique d'harmonisation s'est alors mise en branle, notamment en matière de reconduite à la frontière.
En septembre 2005 émerge la première proposition d'une "directive retour" pour harmoniser les conditions de rétention et d'expulsion des étrangers en situation illégale dans l'un des Etats-membres. Ce texte ne concerne que les migrants issus de pays tiers. Il faudra deux ans et demi pour que les Etats s'entendent sur un compromis.
Processus de codécision oblige, la négociation a été âpre entre le Conseil, où siègent les gouvernements des Vingt-sept, et le Parlement européen. Jusqu'au 5 juin dernier, date du vote en première lecture du projet de "directive retour" par les ministres de l'Intérieur des vingt-sept Etats-membres. Le vote de cette semaine au Parlement européen est la dernière étape du processus de fabrication d'une norme européenne d'explusion des clandestins.
Pourquoi ce texte est-il si décrié?
Initialement, toutes les ONG n'étaient pas hostiles à un projet d'harmonisation. Précisément du fait de la disparité qui règne en matière migratoire. Il ne faut pas oublier que le demandeur d'asile est tenu de faire sa demande de régularisation dans le premier pays européen où il pose pied. Or on sait que le taux de reconnaissance du statut de réfugié aux Irakiens varie, par exemple, de 85% en Allemagne à 13% au Royaume-Uni et… 0% en Grèce. Alors que la Grèce a enregistré trois fois plus de demandes entre 2006 et 2007.
Patricia Coëlho, lobbyiste européenne au Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (CERE), réseau qui rassemble soixante neuf ONG d'aide aux réfugiés, était plutôt favorable à une harmonisation:
"Il était nécessaire d'avoir une directive parce que chaque pays pouvait renvoyer n'importe comment les demandeurs d'asile déboutés. Les pays offraient un soutien, des garanties différentes. Surtout dans un contexte politique où les expulsions devenaient de plus en plus importantes. Il fallait établir des normes et des garanties communes."
Pourtant, cela fait un moment que les espoirs des ONG sont déçus, au gré des compromis… et du durcissement des législations nationales. Pour Patricia Coëlho, le résultat final est globalement "pauvre en garanties". Par exemple, le texte n'interdit pas l'explusion des mineurs et impose un banissement de cinq ans pour un clandestin expulsé d'Europe.
Contre le tour répressif que prend la politique d'asile
Pour d'autres observateurs, on est même en train de durcir indûment les normes en matière d'immigration et d'asile. Si le but affiché de cette directive était de fixer des normes minimales communes, un Etat-membre avec une législation nationale plus favorable pouvait la conserver. Et de nombreuses dérogations existent: le Royaume-Uni, par exemple, a décidé de faire jouer ici sa fameuse clause d'opt-out.
La mesure la plus décriée de la "directive retour" est l'extension du délai de rétention, qui pourra aller jusqu'à dix-huit mois si les députés votent le texte tel quel. En France, où l'on a pourtant récemment allongé le délai de rétention administrative, on ne peut retenir un étranger expulsable que trente deux jours. Mais les pratiques sont variables, certains Etats-membres n'avaient même pas de durée maximale.
Quoique très critique envers le tour "répressif" que prend pour lui la politique d'asile et d'immigration en Europe, Frédéric Tiberghien nuance l'impact de cette mesure pourtant médiatique. Conseiller d'Etat, président du Service social d'aide aux émigrants (SSAE) et membre du bureau de France Terre d'asile, il rappelle que la France s'est engagée à ne pas élargir sa législation au plafond des dix-huit mois:
C'est d'ailleurs ce qu'a promis au Palais Bourbon Brice Hortefeux ce mardi, déclarant en séance de questions au gouvernement:
"Cela ne changera en rien la politique protectrice équilibrée, ferme et juste que le gouvernement mène en matière d'immigration."
Qui a plombé l'harmonisation?
Le dumping dont de nombreuses ONG accusent Bruxelles est lié à la disparité des situations aujourd'hui. Entre des pays qui n'offraient que très peu de garanties, à l'instar de la Grèce qui ne garantit pas de vraie procédure d'appel en cas de refus, et les grands Etats-membres qui ont durci la donne, l'harmonisation n'a pas pris un tour très libéral.
Longtemps, France, Allemagne et Royaume-Uni ont absorbé l'essentiel des flux migratoires vers l'Europe. La France reste ainsi le pays qui a accordé le plus de statuts de réfugiés quand l'Allemagne, de son côté, accueillait plus d'un million de Yougoslave au moment de l'éclatement de leur pays. Mais la situation a changé: la France reçoit aujourd'hui trois fois mois de demandes d'asile.
Harmonisation par le bas
Pour Frédéric Tiberghien, au lieu de pérenniser leur tradition et d'essaimer à l'échelle communautaire, les grands pays font "cavalier seul pour remonter les murs de la forteresse Europe":
"Les grands Etats se sont sentis submergés et ont voulu rediriger le flux migratoire vers leurs voisins qui offrent parfois moins de garanties pour les migrants. Paris, Berlin et Londres, pendant ce temps, ont baissé le degré de protection qu'ils accordaient jusque-là. On en arrive à cette harmonisation par le bas."
Que va changer la présidence française pour l'immigration en Europe?
Le 1er juillet, la France écopera de la présidence tournante de l'Union et Nicolas Sarkozy entend faire de l'immigration un dossier majeur. L'inquiétude des ONG enfle dans toute l'Europe. Certes, la France n'a pas officiellement désavoué sa tradition d'accueil. Mais,la semaine dernière, à un colloque de l'ONG France terre d'asile, l'ancien eurodéputé PSE François Zimmeray, aujourd'hui ambassadeur aux droits de l'homme, soutenait que "la France devait cesser de se considérer éternellement comme le pays de l'asile et des droits de l'homme".
A Bruxelles, le dernier tournant amorcé avec la création du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale fait figure d'épouvantail chez ceux qui attendaient de Paris un discours plus ouvert. Au réseau CERE, Patricia Coëlho relève ainsi que, pour arracher la solidarité des autres pays, Nicolas Sarkozy aurait pris une direction particulièrement répressive aux frontières de l'Union:
Et les ONG dans tout ça?
Frédéric Tiberghien relativise cependant l'impact de cette présidence française, dont il dit ne "rien attendre vraiment". Même si le président du SSAE note que Paris pourrait bien déposséder pour de bon la société civile de son rôle dans le processus d'harmonisation:
Une confiscation du débat qui n'annonce rien de bon alors que le pacte européen sur l'immigration et l'asile doit se négocier d'ici fin 2010.
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