lundi 26 mai 2008

Le village ou on cherche asile à la gare

Lire l'article de Nicolas Burnens dans le Courrier
VALLORBE - Début mars, on annonçait une série de mesures pour améliorer la cohabitation entre demandeurs d'asile et villageois. Le dialogue est rétabli mais l'atmosphère toujours aussi tendue. Reportage.

Il y a décidément deux mondes dans la cité du fer et du cheval. D'un côté, perchée en haut du village, sa gare internationale, fréquentée par ses voyageurs et ses réfugiés. Avec, tout près, entouré de barbelés et gardé en permanence par des agents de sécurité, son centre de requérants et son directeur vallorbier. Aussi son association et son service d'aide juridique. De l'autre, en bas de la localité, ses habitants et ses commerces. Une cinquantaine de nationalités, hommes, jeunes, célibataires en majorité, en attente d'une décision relative à leur demande d'asile, font face à 3100 habitants depuis huit ans. Deux univers qui ont toujours de la peine à se comprendre, lorsqu'ils ne se regardent pas en véritables chiens de faïence. La tension atteint même son paroxysme lorsque le Conseil communal, tant à gauche qu'à droite, demande en début d'année l'interdiction pure et simple du périmètre de la gare aux requérants. La motion est alors balayée par l'exécutif vaudois, jugée anticonstitutionnelle. Depuis, Philippe Leuba, le conseiller d'Etat libéral, a promis des mesures aux Vallorbiers, censées améliorer la cohabitation. La baisse du nombre de requérants est l'une des premières appliquée. Au nombre de 220 il y a un mois, les réfugiés ne sont plus que 170 aujourd'hui. Mais à Vallorbe, la tension subsiste.


Présence dérangeante

Dans le hall de la gare, le constat est le même. Des réfugiés désoeuvrés y traînent, fument, discutent, souvent une bière à la main. «Ici, tout ce que l'on a le droit de faire, c'est rien. Je ne buvais pas quand j'étais en Afrique», témoigne ce Guinéen, assis sur un des bancs devant l'entrée. Il est arrivé à Vallorbe il y a cinq jours. Des camarades l'entourent et certains se joignent même à la conversation, alors que d'autres n'y portent même pas attention. Son regard est vide, ses phrases entrecoupées. Il se plaint du manque de communication avec le personnel du centre. Entassés parfois seize par chambres, les sorties sont interdites dès 17 h 30. Huit heures par jour, il s'ennuie dehors.
«On se croit plus sur le marché de Tombouctou que dans une gare. Les Noirs ne sont pas méchants, mais bruyants. D'autres ont toujours des problèmes d'alcool», affirme Jacques Favre, conseiller communal socialiste, qui dit comprendre le comportement des étrangers abandonnés à leur sort. Il regrette la situation. «On n'aurait pas dû attaquer l'association qui leur vient en aide. Elle fait un travail formidable». Un réfugié la pointe justement du doigt. «C'est Mama Africa»: un petit local dans le bâtiment de la gare. Il appartient à l'ARAVOH, une association qui accueille les requérants, le temps d'un thé ou d'un puzzle.
«Aujourd'hui, je crois que Vallorbe a besoin de retrouver son calme. Cela ne sert à rien de savoir qui a tort ou qui a raison», explique Nicole Rochat, une bénévole, coupée par un habitant qui fait entendre son mécontentement. Une septantaine de requérants s'y rendent chaque semaine. Un sourire et un café: c'est une des seules activités qui leur est offerte pour le moment. Si le local est exigu, l'atmosphère est chaleureuse. «La commune nous a promis un déménagement pour cet été. C'est une bonne chose. On faisait cavalier seul depuis huit ans», glisse, confiante, Christiane Mathys, présidente de l'association. Un projet de Portakabin est à l'étude et devrait ainsi diminuer l'affluence dans le périmètre de la gare.
En attendant, les requérants sont quasi absents des commerces et des bistrots. Certains se rendent parfois à l'église le dimanche matin. «Ou ils viennent pour voler de l'alcool. Ils mettent tout dans leur poche», déplore la responsable d'un centre commercial de la localité. Plus qu'ailleurs dans le village, l'atmosphère est tendue au centre. «De toute façon, tous les commerçants sont racistes», lâche-t-on dans ce kiosque. On ne mâche pas ses mots. Les requérants sont rapidement traités de voleurs, de fainéants, voire d'agresseurs. Personne n'est pourtant au courant que leur nombre a baissé, et l'on ignore que des requérants ont remis personnellement des oeufs de Pâques décorés à l'EMS local ou que le centre ouvre ses portes au public le 14 juin prochain.


Pas un Club Med

«Dix à quinze pour cent ont ponctuellement des problèmes d'alcool, c'est vrai. Mais seule une minorité pose un problème», affirme Philippe Hengy, le chef du centre. Le directeur subit de plein fouet les effets de la nouvelle loi sur les étrangers, rentrée en vigueur le 1er janvier 2008: augmentation du temps de séjour – jusqu'à 60 jours – et du nombre de demandes d'asile. Son centre, il le gère plutôt bien, même s'il ne le considère pas comme un Club Med. Depuis novembre 2000, date de la transformation de l'ancienne caserne en centre, 45 000 personnes sont passées dans ses murs. La population est renouvelée en moyenne tous les 32 jours. Difficile donc d'influencer sur les comportements individuels. «Ce n'est que le reflet d'une société. Il est important d'aller vers l'autre. Nous devons tous tirer à la même corde», conclut-il, d'un ton sincère.


Corriger le tir

En effet, depuis plusieurs semaines, commune, canton et Confédération travaillent ensemble pour corriger le tir. Des visites de lieux touristiques, la création d'un poste et demi de travail et l'organisation de travaux d'intérêts publics seront mis progressivement en place. Des nettoyages en forêt avaient d'ailleurs été organisés l'an dernier sur la base du volontariat des pensionnaires. «Un jour par semaine était prévu. Depuis janvier, il n'y en a pas eu plus de quatre. C'est dommage, car les requérants travaillent très bien», regrette Dominique Favre, employé communal, surtout que ces activités rencontrent un réel succès.
«Je crois que la pression est retombée. Mais je parlerai de détente quand j'aurai vu les résultats des deux prochaines réunions ces six prochaines semaines», explique Laurent Francfort, le syndic du village. Peu nombreux sont ceux qui croient à l'efficacité des mesures financées par la Confédération. «C'est la politique du n'importe quoi. Toutes ces mesures ne changeront rien. Cet été, on aura une forêt de gens devant la piscine», développe quant à lui Bernard Haldemann, conseiller communal radical.
Un point met néanmoins tout le monde d'accord: le pavé dans la mare lancé par le Conseil communal en décembre dernier. Depuis, les partenaires sont assis sur le même banc. «La motion? Sur les termes, c'était une erreur», ajoute Christophe Schwerzamm, son collègue de parti. Contacté par téléphone, c'est la seule concession qu'il fera. Quoi qu'il en soit, le problème de fond reste le même. Cent septante requérants face à dix-huit fois plus d'habitants, contre 330 fois plus à Bâle, un des quatre autres centres d'enregistrement et de procédure en Suisse. Et pourtant à Vallorbe, l'insécurité semble plus subjective que réelle, malgré le manque notoire d'encadrement.

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