lundi 10 mars 2008

Deux ouvrières qui s’entendent à merveille

Malgré la déclaration d’indépendance du Kosovo, Serbes et Albanais continuent à travailler ensemble. La preuve dans une entreprise agroalimentaire. Un article de Nicolas Burnens pour 24 Heures.


Kimeta Uka (à gauche) est Albanaise du Kosovo.
L’indépendance de son pays, proclamée le 17 février
dernier, n’a rien changé: elle continue à travailler
en bonne harmonie avec Ljubinka Mujic,
originaire de Serbie, dans l’entreprise Prodague,
à Essert-sous-Champvent. (Michel Duperrex)

Ljubinka Mujic est Serbe. Ki­meta Uka est Albanaise du Ko­sovo. Le geste de leur couteau est calculé, rapide et précis. Depuis trois ans, elles tra­vaillent côte à côte à la prépa­ration des fruits dans l’entre­prise Prodague, à Essert-sous­Champvent. «Au travail, on ne parle pas de politique», lâche Ljubinka. Cette ouvrière de 40 ans a quitté son village, situé à 60 kilomètres de Pris­tina, en 1998, peu avant les bombardements de l’OTAN sur l’ex-Yougoslavie. Malgré la pro­clamation d’indépendance du Kosovo le 17 février dernier, les deux femmes sont toujours en­semble dans la «salle blanche». Là où l’efficacité de la produc­tion repose sur un travail d’équipe.
Vingt nationalités
L’entreprise compte 20 natio­nalités. Quatre Albanais du Ko­sovo et autant de Serbes. Fruits, légumes, salades. Tout est pré­paré pour être acheminé vers l’expédition. Le thermomètre affiche zéro degré et le bruit des machines est omniprésent.
«Lorsqu’on travaille, on parle d’autre chose. Il n’y a pas de problème. Même pendant la guerre, on s’entendait bien», ex­plique la Kosovare Kimeta Uka, qui est partie de Mitrovica, ville frontière entre la communauté serbe et albanaise du Kosovo, en 1996.
Elle fréquente d’ailleurs d’autres Serbes en dehors de l’entreprise. Ljubinka, sa collè­gue serbe raconte. «Pourquoi je lui en voudrais? L’indépendance, c’est un espoir pour son pays.» Avant de renchérir: «Tout ça, c’est la faute des politiciens.» Les rapports de travail n’ont-ils donc pas changé? «Non. Mais avec la grande diversité de natio­nalités, on évite de parler politi­que », explique Denis Villard, responsable d’exploitation.
Mauvais souvenirs
Belkise Nasufag se joint à la conversation. «J’ai eu peur au début que cela se passe mal», explique-t-elle, la gorge nouée. Elle s’excuse. «Cela me rappelle beaucoup de souvenirs.» On m’explique qu’elle a fui son vil­lage, chassée par les militaires serbes. Elle sanglote. Les yeux de Ljubinka se mouillent aussi. Alors que tout aurait pu les séparer le 17 février, les deux femmes continuent à parler, à rire et à travailler. Elles ne se sont peut-être jamais senties aussi proches qu’aujourd’hui.

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