vendredi 15 février 2008

Surenchère caricaturale

Paru le Vendredi 15 Février 2008
RACHAD ARMANIOS

International Répondre à la provocation par la provocation: mercredi, 17 journaux danois et d'autres européens ont publié une des douze caricatures de Mahomet –celle montrant le prophète affublé d'une «bombe-turban»– qui avaient déclenché, début 2006, une vague de colère planétaire en islam. Certains journaux ont même reproduit l'ensemble des dessins publiés à l'époque par le quotidien conservateur Jyllands-Posten. Ce geste s'est voulu un sursaut démocratique après que la police danoise a, la veille, annoncé avoir déjoué un attentat contre Kurt Westergaard, l'auteur dudit dessin, le plus controversé.
A priori, les défenseurs de la liberté d'expression devraient se réjouir de cette vaste fronde contre l'obscurantisme terroriste. A l'époque, Charlie Hebdo avait jeté sur le feu une large louche d'huile en publiant un numéro spécial. Attaqué en justice, l'hebdo satirique avait gagné en France la guerre juridique et médiatique. Ces journalistes, croisés anti-cléricaux de la première heure, avaient fait leur job en offrant une valeur ajoutée originale et caustique.
Mais aujourd'hui, alors que des extrémistes –selon l'enquête de la police– ont tenté de rallumer l'incendie, faut-il jouer leur jeu et bomber le torse?
Dans la surenchère, le gouvernement danois a d'ailleurs décidé d'expulser sans jugement les deux ressortissants tunisiens arrêtés par la police. Un procédé vertement critiqué par Amnesty International.
Bien entendu, la plume et la démocratie ne doivent pas céder face aux menaces, et le droit au blasphème être défendu avec force. Même Politiken, journal de référence danois de centre-gauche très critique envers les «dessins provocateurs», écrit que Jyllands-Posten doit aujourd'hui bénéficier d'une solidarité sans conditions.
Mais celle-ci aurait pu s'exprimer sans recycler des dessins qui ont suffisamment, qu'on le comprenne ou non, blessé une partie du monde musulman. Car, aujourd'hui, ils manquent leur cible: en l'occurrence, après l'attentat manqué contre le caricaturiste danois, s'agit-il une fois de plus de mettre l'islam au défi de la liberté d'expression ou plutôt de condamner des fanatiques religieux en guerre pour imposer leur projet totalitaire? Au lieu de prendre aussi le parti de la majorité des musulmans –otages de ces fanatiques–, on publie les mêmes caricatures qui les accusent, encore et encore.
Les journaux danois et les autres auraient pu imaginer de nouveaux dessins, plus subtiles, capables au premier coup d'oeil de pointer non l'islam, mais les dérives fanatiques auxquelles cette religion, comme toutes les autres d'ailleurs, peut prêter. Une «nuance» pas vraiment à l'ordre du jour si l'on observe l'accueil opportuniste et sans réserve de la classe politico-médiatique française envers la nouvelle «Marianne musulmane», la Somalienne Ayaan Hirsi Ali, qui ne voit dans le Coran et le prophète que mort et désolation.
Il est à espérer qu'après la crise de 2006 puis de celle liée au discours controversé du pape à Ratisbonne –où il semblait lier islam et violence–, on ne retombe pas dans l'affrontement stérile entre un islam ultrasusceptible et un Occident arrogant.

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