Le temps s’est arrêté à Shishman. Comme chaque localité du Kosovo, le petit village a deux noms. Une exigence du statut intérimaire de la province, sous administration de l’ONU. Il s’appelle Shishman, en albanais, et Šišman, en serbe. Et, comme bien souvent dans ce sud-ouest quasi exclusivement albanophone, le nom serbe a été consciencieusement barré sur le panneau qui marque l’entrée du hameau.
SINISTRÉ Comme tout le Kosovo,
le village de Shishman, déserté par la moitié
de sa population, connaît un chômage massif
et une absence de perspectives pour ses jeunes.
Une véritable bombe à retardement, car les 70%
de la population de la province ont moins de 30 ans.
SHISHMAN. LE 28 SEPTEMBRE 2007
Quelques maisons de briques rouges sans crépi, entourées de hauts murs assortis, dorment sous un ciel gris sombre. La route goudronnée et le petit terrain de jeu ont été payés par les habitants. Deux petites échoppes servent de lieu de rencontre. Cet après-midi, une douzaine de jeunes y tuent le temps à coups de cigarettes et de débats animés. A part Fation, qui gère le magasin avec ses frères, aucun ne travaille. Au Kosovo, le taux de chômage des 20-35 ans avoisine les 70%. Labinot sort de l’université, mais son horizon n’est pas plus ouvert pour autant. Son père, professeur au gymnase de la ville voisine de Gjakova, gagne 180 euros par mois, à peine de quoi payer un loyer. Et l’essence est à 1 euro le litre.
Au milieu de la grisaille, une belle maison sent pourtant le neuf, entourée d’un grand jardin où courent les poules. Shamseddin Isufi attend. Cela fait sept ans qu’il a été expulsé de Suisse, après deux séjours dans le Chablais vaudois. Cela fait sept ans qu’il n’a pas travaillé. Comme tout le village, il vit grâce à ses quelques bêtes, et à l’argent de la diaspora. Son frère lui envoie régulièrement de l’argent d’Allemagne. «Il y a quelques familles, à Shishman, qui n’ont personne à l’étranger, explique Shamseddin. Pour elles, c’est la misère absolue.» Des 400 habitants que comptait le village avant la guerre, la moitié habite désormais à l’étranger, en Suisse et en Allemagne surtout. Les traces helvétiques ne manquent pas d’ailleurs. On trouve du Sinalco chez Fation, et la petite Jessica, de passage au magasin, s’exprime dans un Suisse allemand parfait. Rien d’étonnant à cela, elle est née à Bülach.
Demain sera mieux
De ses séjours à Saint-Maurice, entre 1987 et 1992, puis Bex, entre 1999 et 2000, Shamseddin ne garde que de bons souvenirs. Il a pu y travailler comme plongeur, mécanicien, ferrailleur, et construire sa maison. Même l’évocation de son retour forcé ne provoque aucune rancoeur chez le flegmatique Kosovar de 37 ans. «Je voulais pas rester au noir, alors je me suis fait une raison… glisse-t-il. Mais c’est sûr que si je pouvais, je repartirais demain. L’idéal pour moi, ce serait de pouvoir revenir travailler en Suisse quelques mois par an. Avec ça, je pourrais tenir tout le reste de l’année au Kosovo.» Le temps s’est arrêté il y a huit ans. Après une nuit du 27 avril qui vit 300 habitants du village voisin de Meja tués par les milices serbes. Du temps de la réconciliation, il n’est pas encore question. La région a payé un lourd tribut à la guerre de 1999. «Si je croise un Serbe dans la rue, n’importe lequel, j’ai envie de le fracasser», prévient en allemand le bouillant Vllaznim, villageois de 25 ans. «Quand gardent tant bien que mal le moral. «On vit au jour le jour, sourit Vllaznim. Si on commençait, on irait tous chez le psychiatre trois fois par semaine… Alors on se débrouille, en espérant que demain sera mieux.» Le temps est arrêté. Pour qu’il reprenne sa course, chacun espère l’indépendance. A Shishman, comme à travers tout le Kosovo, les Albanais l’attendent avec une confiance inébranlable. Sa proclamation unilatérale, dont ici personne ne doute, fait office d’horizon. £ j’avais 15 ans, leur police m’a tellement tabassé que je n’ai pas pu marcher pendant des mois.» Heureusement pour la paix des lieux, il n’y a que des Albanais ici. La soeur patrie n’est qu’à deux heures à pied, vers l’ouest. Juste derrière les hautes collines pelées qui servirent durant la guerre de base aux hommes de l’UCK (Armée de libération du Kosovo). Le village n’a pas été avare en soldats.
Aujourd’hui, le combat est celui du quotidien. Malgré l’absence de perspectives, les habitants gardent tant bien que mal le moral. «On vit au jour le jour, sourit Vllaznim. Si on commençait, on irait tous chez le psychiatre trois fois par semaine... Alors on se débrouille, en espérant que demain sera mieux.» Le temps est arrêté. Pour qu'il reprenne sa course, chacun espère l'indépendance. A Shishman, comme à travers tout le Kosovo, les Albanais l'attendent avec une confiance inébranlable. Sa proclamation unilatérale, dont ici personne ne doute, fait office d'horizon.
Un article paru dans 24 Heures, de Marc Ismail pour le texte et Enrico Gastaldello pour les photos, de retour du Kosovo.
SINISTRÉ Comme tout le Kosovo,
le village de Shishman, déserté par la moitié
de sa population, connaît un chômage massif
et une absence de perspectives pour ses jeunes.
Une véritable bombe à retardement, car les 70%
de la population de la province ont moins de 30 ans.
SHISHMAN. LE 28 SEPTEMBRE 2007
Au milieu de la grisaille, une belle maison sent pourtant le neuf, entourée d’un grand jardin où courent les poules. Shamseddin Isufi attend. Cela fait sept ans qu’il a été expulsé de Suisse, après deux séjours dans le Chablais vaudois. Cela fait sept ans qu’il n’a pas travaillé. Comme tout le village, il vit grâce à ses quelques bêtes, et à l’argent de la diaspora. Son frère lui envoie régulièrement de l’argent d’Allemagne. «Il y a quelques familles, à Shishman, qui n’ont personne à l’étranger, explique Shamseddin. Pour elles, c’est la misère absolue.» Des 400 habitants que comptait le village avant la guerre, la moitié habite désormais à l’étranger, en Suisse et en Allemagne surtout. Les traces helvétiques ne manquent pas d’ailleurs. On trouve du Sinalco chez Fation, et la petite Jessica, de passage au magasin, s’exprime dans un Suisse allemand parfait. Rien d’étonnant à cela, elle est née à Bülach.
Demain sera mieux
De ses séjours à Saint-Maurice, entre 1987 et 1992, puis Bex, entre 1999 et 2000, Shamseddin ne garde que de bons souvenirs. Il a pu y travailler comme plongeur, mécanicien, ferrailleur, et construire sa maison. Même l’évocation de son retour forcé ne provoque aucune rancoeur chez le flegmatique Kosovar de 37 ans. «Je voulais pas rester au noir, alors je me suis fait une raison… glisse-t-il. Mais c’est sûr que si je pouvais, je repartirais demain. L’idéal pour moi, ce serait de pouvoir revenir travailler en Suisse quelques mois par an. Avec ça, je pourrais tenir tout le reste de l’année au Kosovo.» Le temps s’est arrêté il y a huit ans. Après une nuit du 27 avril qui vit 300 habitants du village voisin de Meja tués par les milices serbes. Du temps de la réconciliation, il n’est pas encore question. La région a payé un lourd tribut à la guerre de 1999. «Si je croise un Serbe dans la rue, n’importe lequel, j’ai envie de le fracasser», prévient en allemand le bouillant Vllaznim, villageois de 25 ans. «Quand gardent tant bien que mal le moral. «On vit au jour le jour, sourit Vllaznim. Si on commençait, on irait tous chez le psychiatre trois fois par semaine… Alors on se débrouille, en espérant que demain sera mieux.» Le temps est arrêté. Pour qu’il reprenne sa course, chacun espère l’indépendance. A Shishman, comme à travers tout le Kosovo, les Albanais l’attendent avec une confiance inébranlable. Sa proclamation unilatérale, dont ici personne ne doute, fait office d’horizon. £ j’avais 15 ans, leur police m’a tellement tabassé que je n’ai pas pu marcher pendant des mois.» Heureusement pour la paix des lieux, il n’y a que des Albanais ici. La soeur patrie n’est qu’à deux heures à pied, vers l’ouest. Juste derrière les hautes collines pelées qui servirent durant la guerre de base aux hommes de l’UCK (Armée de libération du Kosovo). Le village n’a pas été avare en soldats.
Aujourd’hui, le combat est celui du quotidien. Malgré l’absence de perspectives, les habitants gardent tant bien que mal le moral. «On vit au jour le jour, sourit Vllaznim. Si on commençait, on irait tous chez le psychiatre trois fois par semaine... Alors on se débrouille, en espérant que demain sera mieux.» Le temps est arrêté. Pour qu'il reprenne sa course, chacun espère l'indépendance. A Shishman, comme à travers tout le Kosovo, les Albanais l'attendent avec une confiance inébranlable. Sa proclamation unilatérale, dont ici personne ne doute, fait office d'horizon.
Un article paru dans 24 Heures, de Marc Ismail pour le texte et Enrico Gastaldello pour les photos, de retour du Kosovo.
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