Lire l'édito de Didier Estoppey dans le Courrier
Alors que deux nouvelles lois sont censées apporter les renforcements demandés par la droite dure, la question des étrangers et de leur intégration reste en tête des préoccupations des citoyens. L'UDC a su multiplier les initiatives qui continueront à rythmer l'agenda, alors que les autres partis semblent en panne de contre-propositions.
Ils n'ont pas droit à la parole, du moins dans les urnes. Ils sont pourtant au centre de la campagne électorale: les étrangers tiennent à nouveau la tête d'affiches dont ils se passeraient bien. C'est que la peur, visiblement, fait vendre. A tel point que, selon le dernier baromètre électoral de la SSR, publié fin août, la problématique des étrangers et de leur intégration se hisse en tête des préoccupations des électeurs, ex æquo avec l'environnement et le réchauffement climatique. Comme si bradage de l'identité nationale et menaces sur l'avenir de la planète ne faisaient qu'un... L'identité nationale, pourtant, se heurte à une implacable réalité des chiffres: sans étrangers, plus de Suisse. Les dernières données démographiques publiées par l'Office fédéral de la statistique sont sans appel: si la population du pays a augmenté de près de 50 000 habitants en 2006 (+0,7%), il ne le doit qu'à ses résidents étrangers. Car non seulement les titulaires d'un passeport suisse sont plus nombreux à mourir qu'à venir au monde (solde négatif de 1243), mais ils sont aussi plus nombreux à émigrer qu'à rentrer au pays (-11 313).
Etonnamment, ni ce recul des naissances ni cette propension des Suisses à aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte ne font vraiment débat. Seul compte cet autre, que sa seule altérité rend suspect de vouloir abuser de notre hospitalité ou de nos lois. La campagne de 2007 ressemble, en plus virulente, à une réédition de celle de 2003. Il y a quatre ans, une Suisse coupée en deux venait de rejeter de justesse une initiative de l'UDC contre les abus dans le droit d'asile. Cette année, elle vient d'accepter très nettement deux nouvelles lois sur l'asile et les étrangers, nettement plus dures que le texte rejeté en novembre 2002. Deux lois censées régler le «problème».
Des chiffres absents du débat
Le débat n'en continue pas moins à faire rage, les faits divers impliquant des criminels étrangers étant toujours plus médiatisés et utilisés politiquement. Avec pour résultante une hausse constante du sentiment d'insécurité, même si la vérité des chiffres ne devrait pas venir l'alimenter: toutes catégories confondues, la criminalité est plutôt à la baisse en Suisse, alors que, faute d'unification cantonale et de liens entre type de délit, lieu de résidence ou statut, il est impossible d'avoir une vue pertinente de la délinquance étrangère1.
Dans un tel climat, nul doute que la thématique des étrangers et de leur intégration continuera à occuper largement les gazettes comme les Chambres fédérales au cours de la législature 2007-2011. Les gros chantiers législatifs sont certes sous toit. Mais l'application au quotidien et dans vingt-trois cantons des deux lois acceptées en votation populaire le 24 septembre dernier risque de faire couler encore beaucoup d'encre et de salive. Celle sur les étrangers, en ouvrant la voie à ces fameux contrats d'intégration auxquels il sera désormais possible de lier des permis de séjour, continue largement à alimenter les propositions des partis. Celle sur l'asile, privant les requérants déboutés d'aide sociale et multipliant les possibilités de refus, ne manquera pas elle non plus de continuer à occuper le devant de la scène.
Riche munition
L'UDC, que certains à droite pensaient priver de son fonds de commerce en votant ces deux lois, n'est d'ailleurs pas à court de munitions pour les années à venir. Il est beaucoup question depuis quelques semaines, grâce à une tristement célèbre affiche, de son initiative demandant le renvoi des délinquants étrangers. Le printemps dernier, c'était celle demandant l'interdiction des minarets, soutenue par l'UDC, qui alimentait la chronique. Les deux textes ont les meilleures chances d'aboutir, et pourraient débouler dans l'arène parlementaire durant la législature. Une troisième initiative sera quant à elle bientôt mûre pour le vote populaire (les Chambres, en voie de la refuser, doivent encore s'entendre sur un contre-projet): celle demandant des naturalisations par les urnes.
Mais l'UDC ne recourt pas qu'à la vox populi pour dicter l'agenda: en décembre dernier, elle déposait pas moins de onze interventions parlementaires visant à «améliorer la sécurité en Suisse» et ne s'attaquant évidemment qu'aux fauteurs de troubles étrangers. Des questions telles que l'expulsion des jeunes délinquants étrangers et de leur famille ou le retrait de la nationalité suisse à tout criminel naturalisé seront donc bientôt au coeur des réflexions des élus à Berne. Une autre proposition de l'UDC, déposée en décembre 2005, a d'ores et déjà été acceptée en commission et fera son retour en plénum au terme de la consultation en cours: l'initiative parlementaire du Saint-Gallois Toni Brunner visant à interdire tout mariage en Suisse à un étranger sans titre de séjour. Sans-papiers ou requérants déboutés n'auraient ainsi plus aucune possibilité de convoler.
Mais l'UDC ne compte pas qu'un groupe parlementaire très bien organisé: elle a aussi un conseiller fédéral très actif. Le projet de Christoph Blocher de «réétudier» la norme pénale antiraciste, s'il est avalisé par le Conseil fédéral, pourrait lui aussi nourrir de longs travaux parlementaires. D'autres questions, qui alimentaient encore la campagne il y a quatre ans, en ont par contre désormais presque totalement disparu. Comme la régularisation des dizaines de milliers de travailleurs de l'ombre exploités en Suisse, sans aucun statut légal. I
Note : 1Tels sont en tout cas les éléments saillants ressortant d'un récent ouvrage du chef de la police judiciaire neuchâteloise, Olivier Guéniat (La délinquance des jeunes, l'insécurité en question, collection «Le savoir suisse», Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne 2007).
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