mardi 22 mai 2007

Le minaret qui cache la forêt

Lisez absolument cette analyse de Didier Estoppey qui dans le Courrier décortique la stratégie de l'UDC depuis 2 ans...

Car tout comme elle avait su provoquer en 2003 l'élection de son conseiller fédéral fétiche en imposant sa candidature dès le soir des élections fédérales, l'UDC a su faire des questions migratoires le thème incontournable des fédérales de 2007. En faisant preuve, une nouvelle fois, d'une belle capacité d'anticipation et d'exploitation de la moindre fenêtre médiatique. Et sans hésiter à faire feu de tout bois.


Tout démarre à Rhäzüns

C'est ainsi que, début septembre, Christoph Blocher a su donner une audience internationale à un fait divers qui venait de secouer la Suisse: le viol d'une fillette de cinq ans par deux préadolescents à Rhäzüns, dans les Grisons. En dévoilant l'origine balkanique des deux garçons, le conseiller fédéral relançait un débat qui n'a eu de cesse, depuis lors, d'agiter la classe politico-médiatique: faut-il ou non publier la nationalité des criminels?
Un mois plus tard, le conseiller fédéral, alors en visite officielle en Turquie, dégoupillait une autre grenade en s'attaquant publiquement à la norme pénale antiraciste. Un autre débat public était lancé, ouvrant l'opportunité, pour l'UDC, de se poser en défenseur de la liberté d'expression. Et de remettre en cause une «loi-muselière» utilisée contre les «petites gens». «C'est à tel point que, par exemple, des personnes participant à des soirées de parents à l'école n'osent même pas évoquer les problèmes posés par les fortes proportions d'étrangers dans les classes de crainte de s'entendre accusées de racisme», préviennent les défenseurs d'un peuple qui avait pourtant souverainement accepté ladite loi[1].
Le parler vrai d'un côté, les velléités de censure des ennemis du peuple de l'autre: Christoph Blocher a su poser les jalons. Reste à labourer les terres. L'UDC s'y emploie avec une belle régularité, dont on peut retrouver la trace sur son site internet. Depuis l'automne dernier, il ne se passe pas une semaine ou presque sans qu'un communiqué du parti au titre évocateur ne vienne remettre la pression: «Halte à la brutalité et la violence des jeunes», «Les conséquences d'une politique des étrangers erronée», «L'UDC exige un durcissement drastique des peines», «Meilleure protection contre la violence et les délinquants sexuels», «La violence n'est pas le fait du hasard», «Violence chez les jeunes: tolérance zéro», «Stopper la violence», «Encore trois fillettes violées»...


L'asile n'est plus un problème

Curieusement, par contre, les affaires impliquant des dealers africains ont pratiquement disparu du discours de l'UDC. Depuis un certain 24 septembre et la mise à disposition de Christoph Blocher des outils qu'il exigeait, c'est comme si les requérants avaient disparu de la circulation. Il y a un an, l'UDC menait campagne contre les abus alors que le nombre de nouvelles demandes d'asile n'avait jamais été aussi bas. Aujourd'hui, elle omet de s'alarmer du fait que les demandes d'asile ont fait, entre le premier trimestre 2006 et le premier trimestre 2007, un bond de 23%, et que la nouvelle loi n'a visiblement pas les effets dissuasifs escomptés...
Mais ça marche, la presse sachant visiblement s'intéresser aux problèmes auxquels prétend s'attaquer l'UDC. Depuis quelques mois, la thématique de l'asile et de ses abus se fait nettement plus discrète dans les médias. Le moindre fait divers impliquant de jeunes étrangers semble par contre digne d'un débat télévisé.


Onze interventions sous le sapin

Veillant à alimenter la chronique, l'UDC n'oublie pas pour autant la politique. Fin 2006, en guise de cadeau de Noël, elle déposait ainsi à Berne onze interventions parlementaires visant à «améliorer la sécurité en Suisse[2]». Parmi les mesures destinées à alimenter le débat: réintroduction des mesures d'expulsion dans le Code pénal, imposition du régime légal suisse «aux étrangers provenant d'autres cercles culturels», retrait de l'autorisation de séjour aux «personnes qui refusent de s'intégrer», expulsion des parents d'enfants étrangers ayant commis un acte pénal, réduction des prestations sociales en faveur des délinquants étrangers, durcissement du droit pénal concernant les viols, refus de naturalisation pour toute personne en procédure pénale et enfin, last but not least, retrait de la nationalité suisse à tout naturalisé fauteur de troubles...
Un véritable tir en rafales, propre à nourrir le débat politique des amalgames dont est si friande l'UDC, comme en attestent ses communiqués de presse. «Criminalité des jeunes égale surtout criminalité des étrangers[3]», proclame-t-elle ainsi. Et tant pis si les preuves statistiques manquent de consistance: si on trouve aussi des Suisses parmi les criminels, c'est qu'on naturalise à tour de bras, assène l'UDC. «Nous naturalisons aussi la violence[4]», dénonce son éditorialiste en commentant l'affaire d'un homme ayant tiré dans la foule à Baden. Un homme en apparence bien sous tous rapports, Suisse et employé de banque. Mais d'origine irakienne. Et l'UDC de poser la question: «Le seuil de passage à la violence est-il plus bas pour des étrangers apparemment bien intégrés –surtout s'ils proviennent du milieu culturel musulman– même après de nombreuses années passées en Suisse?»
Bon sang mais c'est bien sûr: la criminalité relève de la génétique. Cela fait d'ailleurs des mois que l'UDC le martèle: «Les violeurs de Steffisburg, Rhäzüns et Zurich (...) sont tous, sans exception aucune, des jeunes étrangers ou des jeunes Suisses récemment naturalisés.»[5] «C'est terrifiant, relève Olivier Guéniat, chef de la Sûreté neuchâteloise et auteur d'un récent ouvrage sur la délinquance des jeunes (lire notre édition du 3 mai). En stigmatisant les deux jeunes violeurs de Rhäzüns, Christoph Blocher a donné corps à l'impression que tous les violeurs sont des requérants en provenance des Balkans. Or en 2005, on a compté en Suisse 132 actes de contrainte sexuelle imputés à des Confédérés, contre 42 à des étrangers et trois à des requérants.»


La gauche, cet ennemi du peuple

Mais l'UDC n'en a cure: «Des fillettes suisses sont violées par des étrangers et des naturalisés.» Et ces fillettes «sont les symboles vivants de l'échec de la politique d'intégration voulue par le camp rouge-vert.»[6]. La gauche a beau rester hyper minoritaire au plan fédéral: l'UDC a décidé, en cette année électorale, de la rendre coupable de tous les maux, que ce soit la hausse constante des impôts ou la progression de la criminalité[7].
Une gauche qui n'hésite pas à fomenter un «complot contre le peuple[8]», en soutenant les délinquants violents par les bâtons qu'elle met dans les roues de l'internement à vie des délinquants sexuels dangereux, conformément à l'initiative acceptée en votation populaire en février 2004.
Une initiative qui, une fois n'est pas coutume, n'émanait pas de l'UDC. Mais le parti ne manque pas de munitions. Son initiative en faveur du maintien des naturalisations par les urnes sans possibilité de recours est en phase d'examen au parlement. Une autre, encore en projet et demandant l'expulsion des étrangers délinquants et l'expulsion des «naturalisés criminels», sera soumise aux délégués de l'UDC le 30 juin, en même temps que celle sur les minarets. Enfin, le débat sur les contrats d'intégration prévus par la nouvelle loi sur les étrangers domine la campagne. Un terrain idéal pour utiliser chaque fait divers comme carburant, et pour contraindre les autres partis à livrer bataille sur le même thème. Ce qui permet au final de faire monter les enchères, comme on l'a vu avec les nouvelles lois sur l'asile et les étrangers...


Les statistiques, ça se tord

Les médias ne manquent pas, eux non plus, d'entrer dans la danse. Lorsque le même fait divers fait l'objet de plusieurs dizaines d'articles dans la presse, on a l'impression qu'il s'est produit des dizaines de fois, observe Olivier Guéniat. «Or si les actes les plus violents sont en effet en légère hausse chez les jeunes, on assiste globalement à une décontraction de la criminalité. Tous les indicateurs sont au vert. Il n'y a aucune raison de paniquer.»
Un discours qui peine pourtant à pénétrer les esprits... La classe politique semble impuissante à démonter les manipulations de l'UDC. «Le problème est que la Suisse ne dispose pas de chiffres unifiés, observe Olivier Guéniat, les statistiques cantonales sont disparates et se prêtent à toutes les interprétations et manipulations politiques.» Le fait, notamment, que les nombreux petits malandrins ne résidant pas en Suisse viennent gonfler la statistique des criminels étrangers pose problème. Le criminologue espère que les statistiques unifiées prévues à l'horizon 2010 avec le nouveau Code pénal faciliteront une vue plus objective. «Mais en attendant, c'est vrai que les discours alarmistes disposent d'un relais politico-médiatique très puissant. Seuls ceux qui crient le plus fort se font entendre...»

Note : [1]Communiqué de presse de l'UDC du 6 octobre 2006.
[2]Service de presse de l'UDC du 14 décembre 2006.
[3]Communiqué de l'UDC du 23 mai 2006.
[4]Editorial de Roman S. Jäggi, 16 avril 2007.
[5]Communiqué de l'UDC du 20 novembre 2006.
[6]Editorial de Roman S. Jäggi, 18 décembre 2006.
[7]Communiqué de l'UDC du 20 novembre 2006.
[8]Communiqué de l'UDC du 7 mars 2007.

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