vendredi 16 février 2007

Violents nos Balkaniques? Enquête et témoignages


Lire l'excellent dossier de 24heures 24heures en ligne - www.24heures.ch - kosovo suisse 160207
Le 13 janvier, seul 5% de la population carcérale vaudoise était composée de ressortissants de l’ex-Yougoslavie. Un chiffre qui contredit le tableau du Balkanique bagarreur.

Avec eux, le chef de la police criminelle de Zurich se dit prêt à des mesures drastiques: «Expulsion de toute la famille», pour en finir avec les «jeunes délinquants des Balkans.» L'UDC les a dans sa ligne de mire et n'en rate pas une pour stigmatiser l'appartenance ethnique des criminels.

Plus violents que les autres, moins «intégrables», les jeunes d'ex-Yougoslavie? «Il s'agit d'un jugement à l'emporte-pièce, avec une énorme dose d'électoralisme», estime Olivier Guéniat, chef de la Sûreté du canton de Neuchâtel.

Faute de statistiques, nous avons demandé au Service pénitentiaire vaudois d'opérer un simple calcul: En ce 14 février 2007, combien de jeunes des Balkans (ex-Yougoslavie et Albanie) figurent au nombre total de vos prisonniers? La question a commencé par faire frémir Catherine Martin, cheffe du service pénitentiaire vaudois: «Un tel chiffre ne dit rien sur le type de délit et il est aisément manipulable.» La réponse, en fin de compte, a simple valeur d'instantané: «Sur 650 détenus présents dans les prisons vaudoises, 32 sont des jeunes de 18 à 30 ans, d'origine des Balkans: 8 Albanais, 3 Bosniaques, 9 du Kosovo, 2 Macédoniens et 10 Serbes.» Et Catherine Martin de préciser aussi vite: «Si nous faisons cette photographie dans six mois, elle pourrait rester dans cette proportion. Sauf si une affaire venait changer le paysage, avec l'implication, par hypothèse, de personnes originaires des Balkans.»

La cheffe du Service pénitentiaire vaudoise rappelle que la Suisse a connu un pic de criminalité «balkanique» au sortir immédiat des guerres de l'ex-Yougoslavie. Désormais, en termes quantitatifs, les prisons vaudoises ont une plus forte représentation de ressortissants d'Africains de l'Ouest.

Pour Olivier Guéniat, «les chiffres au niveau carcéral donnent une fausse image.» A l'unisson avec Catherine Martin, il montre que ce calcul fait l'impasse sur les catégories de délits. Pour ce criminologue, la surpopulation étrangère en milieu carcéral s'explique par le système pénal helvétique. Il ne favorise pas la réinsertion des prisonniers d'origine étrangère, les condamnant à la prison ferme, faute d'alternative sociale. Olivier Guéniat fustige surtout toute l'approche culturaliste et ethnique du crime: «Pour déterminer le profil d'un délinquant, il y a 170 facteurs variables. La variable «immigration» n'en est qu'une parmi toutes les autres.» Cette théorie, appliquée aujourd'hui dans le profilage des criminels, s'est élaborée entre les années 1900 et 1940 aux Etats-Unis et en Europe.

L'histoire et les traditions d'une communauté peuvent toutefois déterminer, en partie, le comportement de l'individu. Non? «Ne nions pas le choc culturel, répond Olivier Guéniat. Mais c'est trop facile, face à un crime, de dire: «C'est dans leur culture!» C'est ainsi faire injure à un nombre de personnes qui réussissent à adopter les nouveaux codes culturels de leur société d'accueil. On stigmatise toujours par rapport au fait judiciaire.» Le chef de la Sûreté neuchâteloise renvoie les Suisses aux années de forte immigration italienne: «On disait des Italiens qu'ils étaient des bagarreurs au sang chaud. Ne sont-ils pas intégrés, aujourd'hui?»
Le Kosovo et la Suisse, une relation particulière



Un Kosovar sur dix vit en Suisse. Ici, une personne sur quarante est de langue et de culture albanophone. «Du fait de cette forte présence, il existe un lien extrêmement puissant, relève Bashkim Iseni, spécialiste des diasporas des Balkans. Rien qu'au niveau de l'architecture, au Kosovo, on parle de «toits suisses» et de nombreux restaurants ont des noms de villes helvétiques. Quant à l'épicerie du coin, elle s'appelle Migros.»

Les liens particuliers qui unissent l'ex-province yougoslave à la Confédération remontent à 1965. A cette époque, Berne signe un accord bilatéral avec Belgrade. «La Suisse avait besoin de main-d'œuvre, les Italiens ne suffisaient plus et il n'y avait pas encore assez d'Espagnols et de Portugais», explique l'écologiste Ueli Leuenberger, fondateur de l'Université populaire albanaise de Genève. La Yougoslavie, elle, avait besoin de devises étrangères. La Suisse compte alors environ 10 000 ressortissants des Balkans, principalement Serbes, Croates et Slovènes. Des saisonniers commencent à arriver, avec l'interdiction d'amener leur famille. «Ils viennent principalement des régions albanophones, du Kosovo, de Macédoine ou du sud de la Serbie, parce ce sont les plus pauvres», observe Bashkim Iseni.

Puis les Balkans s'embrasent. Les déserteurs qui refusent de servir dans l'armée de Milosevic viennent chercher refuge en Suisse. Suivent des dizaines de milliers de personnes qui arrivent notamment par le biais du regroupement familial. Selon Ueli Leuenberger, la Suisse devient une sorte d'arrière-pays économique, social et parfois même militaire de l'ex-province yougoslave.

Aujourd'hui, sur les deux millions d'habitants que compte le Kosovo, 200 000 vivent ici. «Dès qu'il se passe quelque chose là-bas, ça a des retombées chez nous», souligne l'écologiste. Ce qui explique l'intense activité diplomatique déployée par la Confédération dans la région. Un contingent de la Swisscoy de plus de 200 soldats participe aux opérations de maintien de la paix au sein de la force internationale, dans le sud est de la région. Et la Suisse avait fait sensation en été 2005, en tant que tout premier pays à se prononcer en faveur de l'indépendance du Kosovo, par la bouche de sa ministre des affaires étrangères Micheline Calmy-Rey.
Un thème politique central qui divise cantons et Confédération

BERNE La violence des jeunes est au menu des entretiens de Watteville.


Le climat, l'énergie et surtout la violence des jeunes. C'est le programme des entretiens de Watteville, qui réunissent aujourd'hui le Conseil fédéral et les partis gouvernementaux.

A cette occasion, nos politiciens devraient vraisemblablement aborder la possibilité de créer une catégorie à part dans les statistiques sur la violence et sur les bénéficiaires de l'aide sociale: celle des naturalisés depuis moins de cinq ans. Cette proposition extrêmement controversée fait l'objet d'une motion, déposée par le conseiller national Thomas Müller (PDC/SG) et soutenue par le président du PDC Christophe Darbellay.

A Berne, un groupe de travail se penche sur le problème des ados récalcitrants depuis la fin de l'année dernière. «La question que nous allons aborder aujourd'hui est de savoir si la Confédération doit agir ou si les cantons et les communes sont en mesure de gérer seuls ce problème», précise Oswald Sigg, porte-parole du Conseil fédéral. Cette interrogation est déjà au cœur d'une dispute entre les différentes autorités.

Tout a débuté il y a deux semaines, lorsque le conseiller fédéral Christoph Blocher est intervenu dans la presse dominicale. Il a préconisé différentes mesures pour lutter contre les ados difficiles - comme des polices spéciales, des brigades des mineurs et des patrouilles dans les écoles.

La réponse ne s'est pas fait attendre. Une semaine plus tard, la Saint-Galloise Karin Keller-Sutter lui a rétorqué, toujours dans la presse, que de telles décisions relevaient de la compétence des cantons. La radicale, également vice-présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de Justice et police (CCDJP), précisait dans nos colonnes que la plupart des mesures préconisées par Christoph Blocher sont déjà appliquées. A l'exception des patrouilles scolaires, que la Saint-Galloise n'estiment pas nécessaires. Bref, la Confédération n'aurait pas à se saisir du dossier.


«Bagarreurs, nous? Y a du vrai»

TÉMOIGNAGES Dans deux bars, à Lausanne et à Vevey, la parole aux concernés.

NICOLAS VERDAN

VEVEY: Au Silver, Sania et Philippe évoquent, sur le mode de l’ironie douce-amère, les années de guerre qui ont vu éclater leur patrie yougoslave. Elle est Bosniaque, il est Croate. Ils résistent encore tous les jours à cette déchirure qui les a surpris à l’âge de leurs 20 ans. Désormais, ils accomplissent leur destinée en Suisse, décidés à transcender la violence d’hier. / ODILE MEYLAN
VEVEY: Au Silver, Sania et Philippe évoquent, sur le mode de l’ironie douce-amère, les années de guerre qui ont vu éclater leur patrie yougoslave. Elle est Bosniaque, il est Croate. Ils résistent encore tous les jours à cette déchirure qui les a surpris à l’âge de leurs 20 ans. Désormais, ils accomplissent leur destinée en Suisse, décidés à transcender la violence d’hier. / ODILE MEYLAN

On s'y croirait. Un néon blanchâtre, un brouillard de cigarettes, un fond sonore de «yug music», nous sommes bien dans les Balkans. Route de Genève, à Lausanne, le bar le Palmier semble avoir été téléporté d'un bled quelconque, sur la route Zagreb-Belgrade. L'odeur de pneus filtrant du garage adjacent renforce le côté Motel. Là, avec Serbes, Monténégrins, Albanais, points de salamalecs. L'étranger, le Suisse, donc, est aussitôt intégré.

La guerre en filigrane

Une tournée est offerte, la conversation démarre, sans gêne. «Si on est plus bagarreurs que les autres? Evidemment, nous les Balkaniques, on est plus violents!» Gros rire de Said, Bosniaque. La serveuse, qui ne parle que le serbo-croate, lui demande de traduire en servant la Slivovic.

«Je rigole, mais y a du vrai, reprend Said. J'ai lu un livre écrit par un voyageur anglais du siècle passé. Il disait que les Balkans étaient un pays de sauvages. Ce n'est pas si faux.» Sourire en coin, ce patron d'une société de plâtrerie peinture tempère: «Nous venons d'un pays qui a connu la guerre. Nous vivons en Suisse, avec les mêmes problèmes que tout le monde, les impôts, les factures. Nous travaillons, le chômage je ne connais pas.» Le matin, Said fréquente aussi Le Palmier. A six heures trente, il y prend son café. Avec ses employés et les chauffeurs poids lourd d'en face. «Le soir, quand tu rentres, t'es fatigué, raconte Said. Mais c'est là que tu dois responsabiliser tes enfants. Les éduquer. Certains n'en ont pas l'énergie.»

Said souligne l'importance de l'environnement familial: «Moi mes gosses, je fais tout pour qu'ils s'intègrent ici. Je leur parle aussi de la Bosnie, je les y emmène le plus souvent possible. Je ne veux pas qu'ils soient perdus, là-bas.» Comme quand, lui, Said, a débarqué en Suisse. Il fuyait la guerre. «Ici, au départ, je ne supportais pas de voir les gens s'amuser. Je me disais: Comment faites-vous? Là-bas, chez moi, en Europe quoi, on meurt tous les jours!»

Said a fait du chemin. Il a ouvert une boîte à Martigny. On y danse toutes les musiques de l'ex-Yougoslavie. Tous les week-ends, c'est la fête, avec des groupes pop venus de Belgrade, de Sarajevo. «Je travaille avec trois agents de sécurité: Un Albanais, un Serbe, un Bosniaque. On évite les bagarres. Bon, parfois, y a des tensions. Les Albanais du Kosovo sont un peu à part. Ils sortent entre hommes, à la turque. Avec les filles, ils n'ont pas de frontières, par contre. Parfois, la tension monte à cause d'une femme. Mais c'est normal, ça.»

Traditions et vodka

Pour ce jeune patron de discothèque, tout est dans la mesure: «Les jeunes commencent à boire, de la vodka, du Red Bull. Ils ont alors envie de tout casser, les verres, le mobilier. C'est une tradition. Ces nouvelles générations sont nées en Suisse, ont grandi ici. Mais ils adorent retrouver leurs racines avec les musiques folks de chez nous. Nous sommes là pour les calmer. Les Serbes affichent leurs colliers avec la croix. Les Bosniaques se la jouent muslim avec leur machin en pendentif, le croissant, là. On n'a pas de problèmes.»

A Vevey, à quelques mètres du siège international de Nestlé, les vitres teintées d'un fameux bar ne laissent désormais plus rien transparaître d'un nouveau microcosme. Malik, le patron pakistanais, a transformé un pub chéri des rockers en dancing oriental, version «downtown Sarajevo» ou banlieue de Sofia.

Le public, composite, rassemble Albanais et Serbes, Italiens, Marocaines. Sur scène, un groupe de danseuses bulgares, en minijupe et robes à frou-frou. La serveuse, Monténégrine, pleure toujours sur la même rengaine pop. Sa collègue, Sania, Bosniaque invective Philippe, 37 ans, Croate: «Qu'est-ce que tu racontes au journaliste pour des bêtises! Les Croates, ils ont détruit ma ville, Mostar!» Et Philippe de l'attraper affectueusement par le bras: «Sers-moi une bière et je te rappelle que j'ai vécu un an dans vos prisons bosniaques!» Sania lui envoie aussi sec une pression et un «bien fait!»

«Je ne savais plus qui j'étais»

Philippe, employé sur le bateau La Suisse, sent bien monter la méfiance à l'encontre des peuples des Balkans. Pour lui, le choc est culturel. «Il faut du temps pour s'habituer. Au début, ici, je ne savais pas où j'étais. A la guerre, j'ai vu des corps démembrés, mon cousin est mort, j'ai tiré sur ceux d'en face, j'étais aux premières lignes.» Bien intégré à Vevey, il ne compte plus ses potes Suisses. Plongeur professionnel dans son pays, il fait du bateau sur le lac.

Une jeune femme blonde entre en coup de vent au Silver. Une provision de bouteilles de Whisky sous le bras, elle file déjà.

Radovan*, l'air triste, évoque la perte d'identité masculine: «Chez nous, on est des hommes et les femmes nous respectent. Ici, elles ont des libertés que je ne connaissais pas. Un jour, ma femme m'a provoqué. J'ai pété un plomb. Je l'ai frappée. Les flics sont venus. Je leur ai dit que ce n'était pas leurs affaires, que c'était chez moi. Ils m'ont dit que je ne devais pas frapper une femme. Je leur ai dit que si la leur avait parlé comme la mienne, ils auraient fait la même chose. J'ai fait de la prison. Aujourd'hui, je suis divorcé et j'ai eu de la peine à le dire à mon père.»

* Prénom d'emprunt

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Evidemment, la naturalisation accélérée et toute fraîche de nombreux Balkaniques permet d'embellir les statistiques et de faire passer de nombreux criminels pour des Suisses!

Anonyme a dit…

Je suis prof dans des clases formées en majorité d'albansi. En plus de 10 ans, j'ai eu mettons 100 élèves albanais...1-2 ont eu des problèmes, petits, avec une fois une bagarre soft entre 2 "clans" ou mieux dit bandes de copains (à l'interne) et un peu "équipe de foot adverse" en face... Cela pour dire qu'avec les 98 autres, j'ai adoré, on a souvent conu les familles. Quand les pères étaient là et qu'ils n'étaient pas trop touchés par la période 1981-1999, c'était super : des bosseurs, de l'humour, du respect, des valeurs. parfois des difficultés avec des files qui s'émancipaient, parfois aucune difficulté...