La COPERA présente trois exemples d’assistance juridique fournie à des requérants d’asile dans les cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel. Les trois procédures ont abouti à faire corriger la décision initiale de l’autorité. Ils illustrent bien l’importance de fournir un soutien professionnel aux demandeurs d’asile à leur arrivée comme en cours de procédure, afin que les principes de l’Etat de droit dont la Suisse se prévaut soient respectés.
1/ Cas traité à Genève par le secteur réfugiés du Centre social protestant (CSP)
Aveugle après une blessure de guerre, il obtient de pouvoir rester à Genève après sept ans de procédure.
D’origine érythréenne, S. T. a été enrôlé de force en été 1998 lors de la guerre contre l’Ethiopie. En décembre, une blessure par balle le rend totalement aveugle. Sa famille le fait sortir du pays, et il demande l’asile à la Suisse, en janvier 1999, comme réfugié de la violence. Il se heurte à un refus le 23 mars 1999 : sa blessure résultant de l’accomplissement d’une obligation civique, elle n’est pas une persécution au sens propre. Son renvoi est également ordonné, du fait que « la violence ne s’étend pas à tout le territoire » et que « les structures hospitalières érythréennes sont adaptées à (son) préjudice ». Un recours échouera car une avance de frais, qu’il ne peut payer, lui est demandée. Le renvoi n’est cependant jamais exécuté, car l’Erythrée s’oppose au rapatriement de ses ressortissants en exil.
S. T. se trouve alors attribué au canton de Vaud, mais du fait de son handicap, il vit sans autorisation à Genève, dans la famille de son frère aîné, titulaire d’un permis B. Cette situation lui crée des complications. A deux reprises pourtant, le changement de canton lui est refusé. En été 1999, il contacte le Centre social protestant (CSP) à Genève, qui revient à la charge et obtient son transfert à la fin du mois d’août. Par la suite, de nombreuses démarches initiées par le CSP lui permettent d’apprendre le français et d’accéder à un cours de réadaptation, ce qui lui donne une certaine autonomie.
Dans l’intervalle, S.T. a retrouvé à Genève une compatriote avec laquelle il se met en ménage en 2003. Deux enfants naissent de cette union, en 2004 et 2006. Ce changement de situation familiale est alors invoqué par le CSP comme fait nouveau modifiant sensiblement les possibilités de réinsertion. Avec deux enfants en bas âge à leur charge et un père aveugle, il est difficile de penser que cette famille pourrait survivre dans des conditions décentes, dans un pays ruiné par la guerre. Tous les efforts d’adaptation assumés par S. T. depuis sept ans pour surmonter son handicap, refaire sa vie et s’adapter à son environnement genevois seraient aussi réduits à néant.
Le 8 juin 2006, une demande de réexamen est adressée par le CSP à l’office fédéral des migrations (ODM). Elle développe le fait que l’exécution du renvoi ne peut plus être considérée comme raisonnablement exigible au sens de la loi et de la jurisprudence. Le 21 juin déjà, l’ODM se range à cet avis. Il accorde à S.T, ainsi qu’à toute sa famille, une admission provisoire (permis F) qui lui offre de meilleures perspectives d’intégration et lui ouvre, à terme, la voie du permis B.
Combien d’heures a-t-il fallu pour réunir tous les éléments propres à obtenir son transfert à Genève, faire bénéficier ce requérant aveugle d’une prise en charge adéquate, puis pour suivre sa situation et préparer le dossier de sa demande de réexamen ?
Que se serait-il passé sans l’intervention d’un service de consultation spécialisé capable d’obtenir le changement de canton, malgré deux refus antérieurs, et d’identifier le bon moment pour demander le réexamen du cas et obtenir le permis F ?
2/ Cas traité par le Service vaudois d’aide juridique pour exilé-es (SAJE).
Famille albanaise du sud de la Serbie, les K. mettent cinq ans à obtenir une admission provisoire et attendent une décision quant à leur statut de réfugiés.
Fin 2000, la famille K doit fuir son village du sud de la Serbie suite aux problèmes rencontrés avec les forces serbes arrivées du Kosovo: le père, affilié à un parti politique albanais, est interrogé et battu par la police à plusieurs reprises. Monsieur K. dépose une demande d’asile en Suisse. Son épouse et ses enfants se rendent dans un premier temps au Kosovo.
En janvier 2003, Monsieur K est définitivement débouté: bien qu’originaire du sud de la Serbie, il est albanais et peut donc trouver refuge au Kosovo, même si les conditions économiques y sont difficiles. Monsieur K se prépare à quitter la Suisse, le SAJE demande que son plan de vol sur Belgrade soit changé et le conduise au Kosovo.
En février 2003, Mme K et son plus jeune fils déposent une demande d’asile en Suisse. Depuis 2000, ils vivent en effet dans des conditions économiques très difficiles au Kosovo. Durant son séjour à Pristina, elle se rend à trois reprises dans son village, avec des convois protégés par la KFOR, dans l’espoir de pouvoir vivre à nouveau chez elle. Les deux premières fois, elle reçoit des menaces verbales; la troisième, fin 2002, alors qu’elle est dans sa maison, elle est violemment battue devant deux de ses fils, puis elle subit un viol collectif par des militaires serbes. Elle retourne alors au Kosovo loger sous une tente de la Croix-Rouge, avant de venir en Suisse.
Après plusieurs contacts avec Monsieur puis Madame, le SAJE écrit à l’ODM pour compléter les motifs d’asile de Madame et de son fils et annoncer leur prise en charge médicale. Celle-ci, très perturbée, n’avait pu raconter l’entier de son histoire lors de ses auditions, d’autant plus que le traducteur était un homme. Avec l’accord de Mme K, le SAJE contacte les médecins traitants de la mère et de l’enfant. Courant 2003, sur avis médical, il demande à deux reprises aux autorités de repousser l’audition complémentaire ordonnée.
Fin 2003, le canton de Vaud décide d’exécuter le renvoi de Monsieur K, et lui transmet un plan de vol pour Belgrade, faisant fi du principe d’unité de la famille qui ne s’applique pas aux requérants déboutés. Le SAJE effectue des démarches pour obtenir les documents nécessaires et envoie une demande de réexamen auprès de l’ODM, arguant de l’état de Madame et de son fils, qui exige la présence de leur mari et père. L’ODM suspend le renvoi et Monsieur K. peut rester en Suisse auprès de son épouse.
En 2004, le SAJE rencontre Madame K à plusieurs reprises et répond dans les délais aux demandes des autorités concernant l’envoi de certificats médicaux. L’audition complémentaire de Madame a lieu en début d’année.
En juin 2005, l’ODM accorde l’admission provisoire à Madame K et à son fils pour des motifs médicaux. L’asile leur est en revanche refusé. Monsieur K obtient le même statut en novembre 2005. Le SAJE fait recours et demande que Monsieur et Madame K soient considérés comme réfugié-e-s au sens de la Loi sur l’asile. Mme K n’a pas subi uniquement des «préjudices liés à la situation politique, économique ou sociale» du sud de la Serbie, mais bien une persécution ciblée et étatique liée à son appartenance ethnique et au passé de son mari. Les derniers échanges d’écritures ont lieu en septembre 2006. La décision de la Commission de recours en matière d’asile doit tomber sous peu.
Que se serait-il passé pour cette famille, si elle n’avait pu bénéficier du soutien juridiques de professionnels connaissant la langue, les lois et le cadre juridique suisse ?
3/ Cas traité à Neuchâtel par le Bureau de consultation juridique de Caritas
Après six ans de procédure et deux recours, Monsieur K-M, originaire d’un pays africain(*), obtient l’asile grâce à l’opiniâtreté et aux moyens d’investigation de l’aide juridique.
(*) Des raisons de sécurité,empêchent de décliner plus précisément l’identité ni l’origine de cette personne.
Dans son pays, Monsieur K.-M. est membre d’un parti d’opposition. En raison de son engagement politique, sa maison est perquisitionnée, lui-même est arrêté et transféré dans une prison, à T. Il y subit de multiples tortures, est victime d’abus sexuel. Avec l’aide d’un employé de la prison, M. K.-M. peut organiser son évasion. Il se réfugie dans une paroisse où il reçoit le soutien du curé.
Monsieur K.-M. dépose une demande d’asile en Suisse le 11 septembre 2000.
Suite à un premier rapport établi par la personne de confiance de l’ambassade de Suisse à K., l’ODM indique à Monsieur K.-M. qu’un bon nombre des informations données lors des auditions étaient correctes, mais qu’il n’y a pas de prison à T.: le requérant n’a donc pas pu y être détenu. L’ODM rejette la demande d’asile, Monsieur K.-M. dépose un recours contre cette décision.
La Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) demande au requérant le paiement de la somme de 600 francs en garantie des frais de procédure, puisque le recours paraît de prime abord voué à l’échec. Dans l’intervalle, le requérant a pu prouver, avec l’aide du CICR, l’existence d’une prison dans la ville de T. Ce nouvel élément l’encourage à demander à la CRA de renoncer au paiement des frais de procédure. La CRA n’en tient aucun compte et maintient sa demande d’avance de frais. Monsieur K.-M. doit emprunter de l’argent pour s’en acquitter. Grâce à un travail de recherche considérable, le dossier peut être complété par divers nouveaux moyens de preuves.
Dans le cadre de la demande de préavis, l’ODM annule sa décision, reprend l’instruction du dossier et fait une nouvelle demande de vérification auprès de l’ambassade. Cette fois ci, la personne de confiance contactée admet que la prison existe effectivement dans la ville de T., mais que l’employé de la prison comme le curé ignorent tout du requérant.
L’ODM rejette une nouvelle fois la demande d’asile. Monsieur K.-M. dépose un nouveau trecours. Il est alors dispensé du paiement des avances de frais.
Quatre ans plus tard, soit en 2006, la CRA annule la décision de l’ODM, reconnaît à Monsieur K.-M. la qualité de réfugié et invite l’ODM à lui accorder l’asile.
La procédure d’asile a duré six ans, et exigé du service d’aide juridique un investissement considérable en temps et en argent pour: sept entretiens avec le demandeur, la rédaction de deux recours, les douze courriers ou compléments de recours avec les autorités, les vingt-huit courriers ou demandes de renseignements, les dix-neuf entretiens téléphoniques. Une assistance indispensable – mais qui ne va pas de soi – pour que le droit soit respecté.
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