jeudi 5 octobre 2006

«Un acte d'une bêtise totale»

Lire l'article d'Isabelle Graber dans le Journal du Jura en ligne

Les frasques xénophobes de Jürg Scherrer font la une de la presse nationale: la photo du chef de la Police biennoise dégustant un minaret en chocolat suscite la colère de Hans Stöckli.
Hier après-midi, le blog du Parti suisse de la Liberté était inaccessible: la photo montrant Jürg Scherrer en train de mordre à belles dents dans un minaret en chocolat n'était par conséquent plus visible sur la Toile, tout comme les têtes de nègres grimaçantes destinées à illustrer le procès en diffamation que lui avait intenté l'Association des Africains de Bienne (voir notre édition d'hier).

Le cliché montrant un Jürg Scherrer hilare croquant dans un minaret a été prise le 25 septembre dernier à Langenthal: lors d'un discours de 45 minutes, le chef de la police s'était exprimé à propos du projet de construction d'un minaret de six mètres sur le toit de la mosquée. Selon le quotidien «Le Temps», qui consacrait hier un article à cette affaire, le politicien d'extrême droite ne se serait alors pas privé de dire tout le mal qu'il pense de ce projet, ne cachant rien de son aversion pour la culture musulmane qui, selon lui, «met en péril la culture suisse». A la fin de son discours, en guise de cadeau, les organisateurs ont apporté une tourte ornée de minarets en chocolat à Jürg Scherrer, dans lesquels le chef de la Police a croqué sans vergogne.

Publiée dans Le Matin mardi, puis reprise hier dans le Blick et le Bieler Tagblatt, la photo a évidemment provoqué moult réactions: si les partisans de Scherrer se sont certainement réjouis de la publicité inespérée faite au tribun d'extrême droite, certains politiciens biennois - de gauche comme de droite - ne cachent pas leur colère face à la nouvelle frasque du conseiller municipal.

Joint par téléphone à Flims, en pleine session parlementaire, le maire Hans Stöckli a accepté de s'exprimer à propos de cette affaire.

- Hans Stöckli, l'affaire Scherrer fait-elle des vagues jusqu'à Flims?

- J'en ai parlé aujourd'hui avec le conseiller national Yvan Perrin (UDC/NE), qui n'a pas caché son malaise. Jürg Scherrer a commis une bêtise totale et inacceptable. Je ne pense pas que la photo publiée sur son site soit le fait du hasard: cette mise en scène était réfléchie et préméditée. Cela prend évidemment une dimension supplémentaire au lendemain des votations du 24 septembre. Symboliquement, le fait de manger un minaret est extrêmement grave, car cela démontre un mépris total face à l'une des religions les plus importantes du monde. En tant que chrétien, cela me perturbe profondément.

- Bien que vous condamniez cette nouvelle provocation de Scherrer, votre position est assez inconfortable, puisqu'il a été élu par le souverain au Conseil municipal...

- Jürg Scherrer a plusieurs casquettes, puisqu'il est directeur de la Sécurité, mais aussi député au Grand Conseil et président du Parti suisse de la Liberté. C'est dans ce cadre-là qu'il s'est exprimé.

- Il y a quelques années, vous lui aviez pourtant demandé de quitter la présidence du PSL.

- Oui. Mais il a affirmé que le parti avait refusé sa démission.

- Vous n'avez donc aucun moyen de le sanctionner?

- Seuls les citoyens biennois peuvent le sanctionner. Pour ma part, je vais m'occuper de cette affaire dès la rentrée des vacances d'automne; dans un premier temps, je vais discuter avec Jürg Scherrer, afin qu'il puisse s'expliquer. Le Conseil municipal débattra de son cas lors de sa prochaine séance. Nous évoquerons notamment la création d'une ordonnance concernant les règles de la collégialité. Mais c'est un domaine délicat car il relève de la sphère privée. Pour pouvoir punir, il faut des règles strictes, dont nous ne disposons pas.

- Impossible donc d'exiger sa démission?

- Politiquement, on peut toujours demander sa démission, mais juridiquement, c'est impossible. J'ignore si une plainte pénale sera déposée à la suite de cette affaire.

- Reste qu'un tel individu ne redore guère le blason biennois...

- L'image de Bienne ne dépend pas des agissements de Scherrer, mais de l'économie, de la culture et du sport! Scherrer est un exotique et les gens connaissent sa valeur.

- Mais il est toujours brillamment réélu. Et des affaires telles que celle-ci lui font une pub d'enfer!

- Je ne suis pas sûr qu'il gagne des électeurs par de telles provocations. Ce qui m'inquiète en revanche, c'est qu'il soit considéré comme un précurseur par l'UDC, qui s'approprie nombre de ses arguments et lui donne ainsi une légitimité certaine. L'UDC - un parti gouvernemental! - a sans doute repris une partie de son électorat. Du coup, Scherrer surenchérit et se montre de plus en plus virulent.


«Des propos effrayants et répugnants»
La classe politique biennoise réagit vivement aux propos racistes tenus par Jürg Scherrer, jugés «effrayants et répugnants». Son collègue de parti Patrick Calegari a donné sa démission du PSL (voir notre édition d'hier). Il reste néanmoins membre du Conseil de ville. Peter Moser, conseiller de ville radical et député, estime l'intervention de Jürg Scherrer «dénuée de tact et d'un goût douteux».

En publiant une illustration de têtes de nègres en chocolat, le conseiller municipal «marche une nouvelle fois sur la corde raide» et pourrait bien, un jour ou l'autre, «tomber de haut». Le conseiller de ville UDC Andreas Sutter estime que Jürg Scherrer «adore flirter avec la limite de la légalité». Il estime qu'on est en droit d'attendre d'un membre de l'exécutif «qu'il aborde des sujets sensibles comme celui-là avec davantage de conscience et de précaution». Et d'ajouter que les propos racistes de Jürg Scherrer «nuisent à l'image de la ville».

«Des propos terrifiants»

Du côté des Verts, Andreas Bösch qualifie les propos incriminés de «terrifiants». Il n'est pas autrement surpris, «car son racisme est de notoriété publique», mais il se dit inquiet que les opinions d'un homme comme celui-là «soient si bien tolérées par beaucoup de gens» et qu'il soit «toujours aisément réélu». La conseillère de Ville socialiste Teres Liechti estime que l'illustration parue sur le site du PSL est non seulement «répugnante», elle est également «inutile» et ne fait que montrer à quel point Jürg Scherrer «a mauvais goût».

Pourtant, elle ne croit pas que ces dérapages nuisent réellement à l'image de la ville de Bienne, car elles engagent l'homme privé et le président de parti, et non le conseiller municipal. Mais elle ne comprend pas ce besoin constant de provoquer: «Il ferait mieux de consacrer toute cette énergie à résoudre les vrais problèmes». Quant au président des Musulmans turcs de Bienne, Zinnuri Tokmak, il a pris la photo montrant Jürg Scherrer croquant des minarets pour une provocation, mais il précise que sa communauté n'envisage nullement de construire un minaret à Bienne.

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