Jouer avec la séparation des pouvoirs, avec la collégialité gouvernementale, avec le respect des lois et des décisions du peuple, qui plus est à l’étranger, n’est pas digne d’un ministre de la Justice. Le déferlement de critiques qui s’abattent sur Christoph Blocher est mérité. Son intervention, mercredi en Turquie, est d’autant plus regrettable qu’elle masque quelques questions qui dérangent, qu’il conviendrait de se poser avec discernement.
La norme pénale antiraciste, votée en 1994, peut effectivement constituer un problème si elle sort du cadre strict qui l’a vu naître et qu’elle devient l’instrument du politiquement correct et de la pensée unique. Voici deux ans, n’a-t-on pas vu les Verts brandir l’article 261 bis du Code pénal pour s’en prendre à un éditorial du SonntagsBlick qui attribuait une part de responsabilité à l’islam dans la montée de l’islamisme violent? A plusieurs reprises, les juges fédéraux ont rappelé que la norme antiraciste ne doit pas servir à museler des opinions «qui dérangent la majorité», voire qui paraissent «choquantes», arguant que de tels échanges sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie.
Adversaire déclaré de la loi, Christoph Blocher voulait par ailleurs accommoder une Turquie officielle avec laquelle Berne est en délicatesse. Sa grossière maladresse dessert cette intention. Pourtant, là aussi, quelques questions s’imposent: les tensions avec Ankara n’ont-elles pas été ravivées par les raccourcis historiques d’une autre ministre, Micheline Calmy-Rey? Peut-on unilatéralement considérer tous les Turcs comme des génocidaires perpétuels, et les peuples les entourant comme des anges?
Personne n’aidera la Turquie à sortir de son entêtement à nier le génocide arménien en cherchant à l’humilier, ou en pratiquant systématiquement la discrimination bien-pensante du prisme occidental et chrétien, à l’instar de l’Union européenne. Le génocide arménien est une réalité historique. Mais il est loin d’être le seul du genre, dans une région hélas marquée par la pratique méticuleuse du nettoyage ethnique et des déplacements de peuples entiers.
Toutes proportions gardées, à quoi ressemble le traitement infligé par les Arméniens aux Azéris dans les territoires que les deux pays se disputent? Parce qu’elle a fait un travail remarqué sur sa propre histoire, la Suisse aurait un rôle à jouer dans une réconciliation et une mise à plat des fardeaux du passé.
Cela vaudrait mieux que les déclarations à deux sous d’un chef de parti en campagne électorale. THIERRY MEYER
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