vendredi 6 octobre 2006

Blocher fait son Turc contre l'Islam

«La Turquie saluée par Christoph Blocher est celle-là même qui
fit disparaître les signes extérieurs de la religion musulmane lors de sa
constitution dans les années 20»

NICOLAS VERDAN Chef de la rubrique Monde 24 Heures

Que ne ferait-il pas pour son parti? Les déclarations, ulcérées, de Christoph Blocher sur l’article 261 du Code pénal suisse servent autant les inté­rêts d’industriels pressés de re­trouver un accès privilégié au marché turc que la volonté de l’UDC d’abroger la loi antira­ciste.
Or, le chef du Département fédéral de Police et Justice a fait mieux encore. Sa visite courtoise en Turquie, à 95% musulmane, est paradoxale­ment un encouragement à l’of­fensive de son parti contre l’is­lam en Suisse.
Le 80e anniversaire de l’adoption du Code civil suisse en Turquie était l’occasion rê­vée pour renforcer le discours de l’UDC contre toute manifes­tation publi­que de l’islam, devenue la troisième reli­gion en Suisse. La Turquie saluée par Christoph Blocher est celle-là même qui fit disparaître les signes extérieurs de la religion musulmane lors de sa consti­tution dans les années 20.
Le choix précis des lieux où s’est rendu le conseiller fédéral est sans équivoque. La très laïque Faculté de droit d’An­kara et le mausolée de Mustafa Kemal, dit Atatürk («Turc père») représentent les bas­tions d’une révolution qui relé­gua l’islam turc à la sphère privée: en vrac, suppression du califat, adoption du code vesti­mentaire occidental, interdic­tion du port du hijab et du fez, interdiction de la polygamie, remplacement du calendrier musulman par le grégorien, al­phabet latin en lieu et place de l’arabe, instauration d’une école laïque, mixte et républi­caine.
Bref, un catalogue de mesu­res que ne renierait pas l’UDC aujourd’hui. Bien au contraire! Diable intelligence du tribun populiste Blocher, qui ne se fit pas prier pour reprendre dans son discours, mercredi à An­kara, les propos du premier ministre de la justice que con­nut la République turque: «…il nous faut appeler à la vie une organisation de la justice tur­que entièrement nouvelle, avec un nouveau système juridique, de nouvelles lois et de nou­veaux tribunaux. Quel carac­tère pourrait et devrait avoir cette organisation de la justice, à laquelle les étrangers se­raient aussi soumis. La ré­ponse tient en un mot: laï­que. » Et Blocher de rappeler que ce Mahmud Esad Bozkurt vint étudier le droit en Suisse, plus exactement à Lausanne et à Fribourg. On comprend dès lors mieux cet attrait de notre conseiller fédéral pour cette Turquie kémaliste, qui tenta de modeler un pays ethnique­ment pur et religieusement ho­mogène, là où coexistaient des peuples, des langues et des religions différentes. La ques­tion kurde n’est pas le moindre des avatars de cette construc­tion nationale en éternel mou­vement de fusion-séparation.
Ainsi, avec son voyage, Christoph Blocher a fait plus que rendre un hommage op­portuniste au Traité de paix de Lausanne, au Code civil turc et aux liens traditionnels de la Suisse et de la Turquie. Que l’on ne s’y trompe pas. Toutes ces révérences, son clin d’oeil amical aux fameuses Migros turques développées au milieu des années 50, ses maux de ventre placent sa visite bien au-delà des bons offices com­merciaux. L’enjeu était avant tout politique et intérieur à la Suisse.
Avec un Blocher, la bataille pour la place de l’islam en Suisse s’avère d’ores et déjà redoutable. Mais encore fau­drait- il que les lieutenants de l’UDC soient à la hauteur de leur capitaine. La prestation laborieuse sur la TSR d’Yvan Perrin, vice-président du parti est à l’opposé de la perfor­mance turque de Christophe Blocher. L’absence de connais­sance historique et religieuse du premier contraste avec le sens historique du second. A propos, à quand Blocher et Ramadan sur le même pla­teau?

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