«La Turquie saluée par Christoph Blocher est celle-là même qui
fit disparaître les signes extérieurs de la religion musulmane lors de sa
constitution dans les années 20»
NICOLAS VERDAN Chef de la rubrique Monde 24 Heures
Que ne ferait-il pas pour son parti? Les déclarations, ulcérées, de Christoph Blocher sur l’article 261 du Code pénal suisse servent autant les intérêts d’industriels pressés de retrouver un accès privilégié au marché turc que la volonté de l’UDC d’abroger la loi antiraciste.
Or, le chef du Département fédéral de Police et Justice a fait mieux encore. Sa visite courtoise en Turquie, à 95% musulmane, est paradoxalement un encouragement à l’offensive de son parti contre l’islam en Suisse.
Le 80e anniversaire de l’adoption du Code civil suisse en Turquie était l’occasion rêvée pour renforcer le discours de l’UDC contre toute manifestation publique de l’islam, devenue la troisième religion en Suisse. La Turquie saluée par Christoph Blocher est celle-là même qui fit disparaître les signes extérieurs de la religion musulmane lors de sa constitution dans les années 20.
Le choix précis des lieux où s’est rendu le conseiller fédéral est sans équivoque. La très laïque Faculté de droit d’Ankara et le mausolée de Mustafa Kemal, dit Atatürk («Turc père») représentent les bastions d’une révolution qui relégua l’islam turc à la sphère privée: en vrac, suppression du califat, adoption du code vestimentaire occidental, interdiction du port du hijab et du fez, interdiction de la polygamie, remplacement du calendrier musulman par le grégorien, alphabet latin en lieu et place de l’arabe, instauration d’une école laïque, mixte et républicaine.
Bref, un catalogue de mesures que ne renierait pas l’UDC aujourd’hui. Bien au contraire! Diable intelligence du tribun populiste Blocher, qui ne se fit pas prier pour reprendre dans son discours, mercredi à Ankara, les propos du premier ministre de la justice que connut la République turque: «…il nous faut appeler à la vie une organisation de la justice turque entièrement nouvelle, avec un nouveau système juridique, de nouvelles lois et de nouveaux tribunaux. Quel caractère pourrait et devrait avoir cette organisation de la justice, à laquelle les étrangers seraient aussi soumis. La réponse tient en un mot: laïque. » Et Blocher de rappeler que ce Mahmud Esad Bozkurt vint étudier le droit en Suisse, plus exactement à Lausanne et à Fribourg. On comprend dès lors mieux cet attrait de notre conseiller fédéral pour cette Turquie kémaliste, qui tenta de modeler un pays ethniquement pur et religieusement homogène, là où coexistaient des peuples, des langues et des religions différentes. La question kurde n’est pas le moindre des avatars de cette construction nationale en éternel mouvement de fusion-séparation.
Ainsi, avec son voyage, Christoph Blocher a fait plus que rendre un hommage opportuniste au Traité de paix de Lausanne, au Code civil turc et aux liens traditionnels de la Suisse et de la Turquie. Que l’on ne s’y trompe pas. Toutes ces révérences, son clin d’oeil amical aux fameuses Migros turques développées au milieu des années 50, ses maux de ventre placent sa visite bien au-delà des bons offices commerciaux. L’enjeu était avant tout politique et intérieur à la Suisse.
Avec un Blocher, la bataille pour la place de l’islam en Suisse s’avère d’ores et déjà redoutable. Mais encore faudrait- il que les lieutenants de l’UDC soient à la hauteur de leur capitaine. La prestation laborieuse sur la TSR d’Yvan Perrin, vice-président du parti est à l’opposé de la performance turque de Christophe Blocher. L’absence de connaissance historique et religieuse du premier contraste avec le sens historique du second. A propos, à quand Blocher et Ramadan sur le même plateau?
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