ANNE-CATHERINE MENÉTREY-SAVARY
Conseillère nationale verte
«Et les enfants, que deviennent-ils au milieu de ces tribulations? Qui se préoccupe de leur sort?»
L'amour existe, alléluia, j’en suis témoin! Des couples se forment: des étrangers entre eux, des migrantes ou des migrants avec des Suissesses ou des Suisses, des requérantes et des requérants d’asile. Quoi de plus normal? il faut avoir un regard déformé pour soupçonner systématiquement l’abus! La plupart du temps, ce sont de vraies relations, dont naissent de vrais enfants, chéris et choyés comme il se doit. Cela finit par des mariages, ici ou là-bas. C’est généralement ainsi que se terminent les contes de fée, dans une félicité sans histoire. Mais avec nos lois sur l’asile et les étrangers, déjà plus ou moins appliquées aujourd’hui par anticipation, c’est au contraire là que les ennuis commencent! Refus, renvois, séparations, non-reconnaissance, les tracasseries sont parfois kafkaïennes.
Et les enfants, que deviennentils au milieu de ces tribulations? Qui se préoccupe de leur sort? Qui vérifie si leurs droits, consacrés par la Convention internationale des droits de l’enfant, que la Suisse a signée, sont respectés? Que ce soit dans la pratique actuelle ou dans les débats autour des futures lois, c’est incroyable à quel point cet aspect-là a été négligé! Une expertise sur mandat de Terre des Hommes vient d’en faire la démonstration (1).
Vous voulez un exemple? Dans le canton de Berne, voici Dorothée (2), 15 mois, née d’un père africain, débouté du droit d’asile, et d’une Suissesse. Vu que sa mère travaille, c’est son père qui s’occupe d’elle, jusqu’au jour où il est arrêté et placé à Bâle en détention en vue de renvoi. Dorothée en est traumatisée. Elle pleure sans arrêt, ne mange plus, dort mal et arrête de grandir. Le père refusant de signer une déclaration de retour volontaire dans son pays d’origine, la détention est prolongée. S’il est renvoyé, comme d’autres pères l’ont été avant lui, il ne verra plus jamais sa fille. Est-ce une décision prise en conformité avec l’intérêt supérieur de l’enfant, comme l’article 3 de la Convention l’exige? Et l’article 9, qui prescrit que l’enfant a le droit de vivre avec ses parents, qu’en fait-on?
Que dire aussi des enfants de Sans papiers, à qui la nouvelle loi sur les étrangers refuse toute possibilité de régularisation? Certes, ils peuvent en principe aller à l’école et disposer d’une assurance- maladie, comme le prescrit la Convention. En principe… En réalité, il est permis d’avoir de doutes. En revanche, ils n’ont pas droit à une formation professionnelle et ils sont condamnés à vivre dans la peur d’une dénonciation, ou d’un simple contrôle de police sur le chemin de l’école, qui signifierait l’expulsion de toute la famille. Comment un adolescent peut-il construire son identité alors qu’il est privé d’existence sociale? Le droit à une identité est pourtant garanti par l’article 8 de la Convention.
Il faut aussi se représenter ce que c’est, pour un enfant, que d’être confronté à la précarité extrême qu’engendrera le régime de suppression de l’aide sociale pour les requérants déboutés. La nouvelle loi le permet. La convention (article 26) affirme au contraire le droit de l’enfant à la sécurité sociale.
Enfants traumatisés, enfants trimballés, enfants mis en détention (jusqu’à une année) en vue de renvoi, enfants privés d’innocence et de sécurité, enfants soupçonnés d’abus, enfants terrorisés par l’intrusion de la police à la maison («L’enfant ne doit pas faire l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée», art. 16.), enfants menacés de disparition par manque d’encadrement… Les deux lois sur l’asile et les étrangers bafouent de multiples manières la Convention relative aux droits de l’enfant. C’est juridiquement problématique. C’est surtout humainement intolérable.
(1) «La loi sur les étrangers et la loi sur l’asile révisées à la lumière de la Convention relative aux droits de l’enfant»; Sylvie Marguerat, Minh Son Nguyen, Jean Zermatten; juin 2006.
(2) Prénom d’emprunt.
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