Lire l'article de Virginie Poyeton dans le Courrier
Réfugiée yéménite, Manaka est venue en Suisse à 19 ans pour échapper à une union forcée.
Un corsage blanc, des cheveux tirés encadrant un visage harmonieux. Elle ne parle pas très fort. Dans son regard, on pourrait lire la fragilité. Et pourtant...
Manaka[1] est née au Yémen il y a vingt-six ans, dans la capitale Sanaa. Son avenir était déjà tout tracé. Elle se marierait à un homme fortuné, un fiancé qu'elle apprendrait à connaître parce que ses parents en avaient décidé ainsi.
Sa «chance» –comme elle le dit elle-même–, c'est, à 19 ans, d'avoir voyagé en Italie avec sa famille. «J'avais déjà la bague au doigt. Au retour, je devais me marier. Un jour, ils sont tous partis faire des achats. J'en ai profité pour m'échapper.» La fugue se passe à Milan. Manaka rentre dans un restaurant libanais et demande de l'aide. On l'orientera vers un Algérien qui, pour la somme de 5000 dollars, lui propose de la conduire en Suisse. Elle restera quatre mois en Italie. Le temps de fabriquer de faux papiers. «J'ai dû me couper les cheveux, porter des lunettes. Je n'ai jamais vu les papiers. Il (le passeur, ndlr) les a peut-être utilisés pour une deuxième fille.» Manaka esquisse un sourire.
Un train pour Genève
Le séjour suisse commence à Brigue. Manaka y restera quatre jours avec la famille du passeur avant de prendre le train pour Genève. Une fois sur place, elle demande à un chauffeur de taxi de l'emmener «là où on peut déposer une demande d'asile». C'est à l'ancien CERA (centre d'enregistrement pour requérant d'asile) qu'elle effectuera les premières démarches. «Je n'avais aucun papier sur moi. Ils ont voulu me faire signer un document stipulant que j'acceptais de repartir si je ne me procurais pas de documents dans les quarante-huit heures. J'ai refusé. Ils m'ont ensuite emmenée au centre de la Voie-des-Traz, près de l'aéroport.» Une pratique encore en cours aujourd'hui. Avec la nouvelle Loi sur l'asile, soumise au Souverain le 24 septembre, Manaka aurait été immédiatement refoulée.
Sans statut, on n'est rien
Le premier séjour de la jeune Yéménite en terres genevoises ne marquera pas positivement sa mémoire. «C'était terrible. J'étais sûre qu'on allait venir d'un moment à l'autre pour m'expulser.» Car au Yémen, l'avenir était lourd d'incertitudes. «Je n'imaginais pas rentrer chez moi. J'étais partie pour toujours. Si je rentrais, c'était la mort. Au Yémen, une femme peut disparaître sans que personne ne s'en inquiète. Pour mes parents, ma fugue à l'étranger pour échapper à un mariage, c'était la pire des humiliations.» Quand on lui dit qu'elle a eu du courage, Manaka répond: «Non, de la chance.»
Avant d'obtenir l'asile –après deux ans, la jeune fille avait réussi à se faire envoyer son certificat de naissance par une amie–, la jeune Yéménite vivra deux ans et demi au foyer des Tattes, puis avec la mère de son ami. Quatre longues années d'attente, puis le bonheur d'être enfin «quelqu'un». «En Suisse, sans papiers, on n'est rien. Quand j'ai obtenu le statut de réfugiée, je n'avais qu'une seule envie: trouver un bon travail, me former. Un statut, ça vous ouvre des portes.»
«Je veux donner à mon tour»
Mais Manaka se rend vite compte que les choses ne sont jamais très simples en Suisse. «Etre intégrée, cela veut aussi dire avoir un appartement, un emploi fixe. J'aimerais travailler dans une organisation internationale. Beaucoup de gens comme Barbara Tschopp, d'Elisa (association d'aide aux requérants d'asile, ndlr) m'ont aidée. Maintenant, je veux donner à mon tour. Plus tard, j'aimerais mener des projets pour des femmes au Yémen.»
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