L'opinion de Jacques Poget, rédacteur en chef de 24 Heures
Et c’est parti! Avec la «suggestion» appuyée des autorités de Vallorbe à la caravane pro-asile de passer au large de leur localité (affligée d’un centre d’enregistrement pour requérants), le débat dérape inéluctablement. Au risque de perdre de vue la question cruciale: quelles lois sur l’asile et les étrangers la Suisse entend-elle adopter?
Et c’est parti! Avec la «suggestion» appuyée des autorités de Vallorbe à la caravane pro-asile de passer au large de leur localité (affligée d’un centre d’enregistrement pour requérants), le débat dérape inéluctablement. Au risque de perdre de vue la question cruciale: quelles lois sur l’asile et les étrangers la Suisse entend-elle adopter?
Le piège: quelles que soient ses intentions, la tentative de musellement est profondément pernicieuse; il est donc impératif de résister à toute idée d’intimider les adversaires de la loi. Car il ne s’agit pas «simplement » de ce referendum, mais du droit à l’expression de tout citoyen, sur n’importe quel sujet. Il faut rappeler fortement que, sans discussion ouverte et publique, une votation perd toute valeur; souligner la portée générale de l’incident, montrer comment ce précédent, s’il était contagieux, attaquerait notre démocratie à la racine.
Simultanément et contradictoirement, il faudrait faire l’impasse sur cet épisode local pour évacuer tout parasite à la discussion sur l’asile et les étrangers. Il est tellement tentant de se focaliser sur des aspects qui pourraient passer pour folkloriques. Et de dénaturer la controverse en l’écartant de son enjeu ultimepar exemple en s’affrontant longuement sur l’opportunité ou non d’une halte de la caravane dans des lieux particulièrement sensibles, tels que Vallorbe ou Bex.Or les deux lois cibles du referendum font partie de ces dispositions cardinales pour la démocratie qui mettent en forme des comportements primordiaux. La manière dont une collectivité considère et traite les étrangers, dont elle accueille ceux qui lui demandent aide et protection, dont elle règle son attitude essentiellement sur le respect ou sur le soupçon, tout cela a des implications invisibles mais tentaculaires sur l’ensemble de la société. Tout cela en dit long sur ses véritables valeurs fondatrices, non celles du credo officiel mais celles des conduites sociales au quotidien. C’est pourquoi il faut pouvoir débattre lucidement de ces deux lois, examiner sereinement leurs dispositions précises, établir froidement leurs conséquences. Loin des jugements à l’emporte-pièce, des on-dit, des on-croit et des généralisations.Modèle du genre, l’intervention de la libérale Suzette Sandoz, professeur de droit, dans Le Temps du 16 juin, démontrait comment la nouvelle loi aboutirait à transformer les officiers d’état civil en «bras privé de la police des étrangers». (Ajoutons qu’elle encouragerait soupçon et délation). Et la juriste de souligner une «barbarie » de la loi, le fait de punir les enfants pour l’acte des parents. Il est prévu qu’en cas de mariage de complaisance, l’union soit annulée, et la paternité du mari automatiquement supprimée. Automatisme glaçant: des enfants forcément sans père si le père a abusé de la confiance de la Suisse.Il y a dans les deux lois soumises au peuple le 24 septembre plusieurs «détails» de ce genre, auxquels les parlementaires ne se sont pas arrêtés. Par exemple celui qui a poussé un ancien grand patron comme Markus Rauh (Swisscom) à organiser avec d’autres conservateurs un comité pour le referendum: il s’agit pour lui d’empêcher que des policiers puissent, sans mandat d’un juge, entrer chez quelqu’un et l’emprisonner en vue d’une expulsion; empêcher, qu’en Suisse on puisse être ainsi détenu jusqu’à deux ans hors du circuit de la justice. De tels détails, à mettre en regard des inconvénients de la loi actuelle, méritent une décision mûrement réfléchie, à ne laisser troubler par aucune controverse secondaire. «Il est tellement tentant de se focaliser sur des aspects qui pourraient passer pour folkloriques»
LA RÉDACTION
JACQUES POGET
■ Rédacteur en chef
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