mercredi 19 juillet 2006

Le feuilleton de l’été: les yeux pour pleurer

Et sous la même rubrique, les réflexions cette fois de la pasteure Hélène Küng

Un été rayonnant, des nouvelles accablan­tes. Jours splendides, soirées lumineuses. Et pen­dant ce temps l’électricité et l’eau sont coupées, des routes et des maisons sont défon­cées, des gens sont tués par familles entières, des soldats enlevés, des prisonniers tor­turés… Encore un été rayon­nant comme un imbécile alors que la guerre endeuille des ciels bleus. Il y a onze ans, en plein juillet, on ap­prenait, hébétés, la chute de Srebrenica, les chars char­geant les civils, les familles traquées, les morts et encore les morts – et dans les hautes sphères de l’opinion interna­tionale, la prudente compta­bilité des mots diplo­matiques: condamnera, condamnera pas?Eté triom­phant, actualité accablante. Encore des chars chargeant des civils. Autres temps, autres lieux, autre guerre, autre absurdité. Mais une commune imbécillité au pou­voir: l’idée qu’en étant en­core plus violent que l’autre on résoudra les problèmes, qu’il n’y a pas d’autre choix. Elles ont vu juste, ces fem­mes qui clamaient dans les rues lors d’une autre guerre encore: «Un an de négocia­tions vaut mieux qu’un jour de guerre».Ça sert à quoi de voir juste? A rien. Les yeux pour voir, les yeux pour pleurer. L’engre­nage se déroule sous nos yeux crétinisés d’impuis­sance.Déni de droit, occupa­tion, coupe réglée dans les possibilités de vie d’une po­pulation. La violence comme moyen de conquête et de gouvernement (oliviers arra­chés, champs confisqués à leurs propriétaires, chicanes incessantes sur les routes, paralysie de l’agriculture, de l’industrie, de l’économie, ra­fles de prisonniers, attaques de quartiers civils…) et en face, des frappes ponctuelles et meurtrières, des actes dé­sespérés, une violence comme moyen de résistance et d’existence.Les yeux pour pleurer. Im­possible de ne pas voir l’idiote logique du tout: la violence quotidienne et sys­tématique envers une popu­lation est manifestement le moyen le plus efficace, ces cinq ans l’ont montré, pour encourager – et non pour combattre – les actes terro­ristes! Si le droit est nié, si une proportionnalité des moyens n’est pas respectée, si des résolutions internatio­nales restent lettre morte, si le pouvoir effectif est à celui qui utilise sa force militaire, si les moyens de vie normaux (agriculture, commerce…) sont coupés: comment s’étonner que des désespérés se tournent vers le terro­risme comme seule alterna­tive?Dans les polars du diman­che soir, on crie «Non», le héros, le flic de choc se trompe, mais rassurez-vous, ça finira bien, son intuition le guidera, la justice triom­phera et la violence montrera son vrai visage bête et inu­tile. Avec l’actualité ça ne marche décidément pas. On crie «Non» et les tanks char­gent, les roquettes explosent, les immeubles s’effondrent, les hôpitaux s’emplissent de civils en sang… Ça ne finit pas bien du tout. Pourtant là aussi, le scénario est clair, non?A ceux qui me disent: «Il faut accepter, Dieu a donné cette terre à Israël, tous les moyens sont bons pour la garder», je demande: «Ce Dieu n’a-t-il pas parlé de jus­tice? ». Ils me regardent comme si je parlais chinois. C’est tellement facile de ne prendre dans la Bible que ce qui nous arrange, n’est-ce pas. J’aime mieux fermer la Bible, si elle est si aveu­glante, et ouvrir les yeux. Les yeux pour pleurer, les yeux pour voir. Je vais m’obliger à regarder la suite du feuille­ton. C’est arrivé près de chez nous. C’est notre histoire. «Encore un été rayonnant comme un imbécile alors que la guerre endeuille des ciels bleus»
L’INVITÉE HÉLÈNE KÜNG
■ Pasteure

Aucun commentaire: