lundi 6 mars 2006

Quand on NEM...tome 7


Ces personnes ont reçu des autorités suisses une décision de Non-Entrée en Matière (NEM) sur leur demande d’asile. Elles sont dès lors exclues de la procédure qu’elles demandaient et considérées comme en séjour illégal. Elles sont censées quitter le territoire suisse par leurs propres moyens, ou demander l’organisation de leur départ au canton chargé de l’exécution du renvoi. Ce canton doit leur accorder l’aide d’urgence entre-temps, car la Constitution suisse ne permet pas de laisser des personnes sans aucun moyen de vivre. Les cantons ont défini des normes d’aide d’urgence minimale.

Partent-elles ? Sinon, pourquoi et comment restent-elles ?
Les pages qui suivent tentent d’apporter quelques réponses à ces questions.


1) Pourquoi dit-on que des renvois sont impossibles à exécuter ?


Ce sont les cas où la Suisse n’arrive pas à obtenir de laisser-passer pour organiser le renvoi de la personne. Pourquoi ?
Dans certains cas, le pays d’origine refuse ce genre de demande de toutes façons (par exemple, il n’y a pas d’accord de réadmission). Dans d’autres cas, le pays d’origine ne reconnaît pas telle personne comme ressortissante.
Le problème vient parfois du diagnostic côté suisse ! Beaucoup de décisions de Non-Entrée en Matière sont basées sur un désaccord sur le pays d’origine : le requérant affirme être du pays A, la Suisse affirme qu’il vient du pays B. La Suisse demande au pays B un laisser-passer pour y renvoyer la personne. Le pays B refuse – mais la Suisse ne remet pas en cause son diagnostic. Or cela devrait la conduire à remettre en question sa décision de Non-Entrée en Matière sur la demande de cette personne.
Par exemple : Un requérant d’asile affirmant venir de Sierra Leone et alléguant être en danger dans son pays a reçu une Non-Entrée en Matière : la Suisse affirme qu’il vient du Ghana et en conclut qu’il a menti sur son origine et donc que tout son récit est faux. La Suisse demande au Ghana un laisser-passer pour lui renvoyer son ressortissant. Le Ghana refuse : cette personne n’est pas Ghanéenne. Et la situation est bloquée : la Suisse n’a pas obtenu de laisser-passer pour le renvoi, mais refuse de réexaminer la demande de la personne, qui avait reçu une réponse négative à cause du désaccord sur sa nationalité ! En attendant, cette personne a déjà passé des mois au régime « NEM », ne comprenant pas pourquoi sa demande n’est pas réexaminée.

Le problème vient parfois de ce que la personne redoute tellement un renvoi dans son pays, qu’elle refuse de prendre le risque que la Suisse demande un laisser-passer. Elle ne vient pas aux convocations, elle ne s’annonce même pas pour l’aide d’urgence, préférant essayer de survivre autrement : grâce à l’aide ponctuelle de privés, l’hospitalité d’amis pour quelques jours, ou même parfois par des activités illégales, plus ou moins ponctuelles, mais lui permettant d’avoir un peu d’argent pour vivre, ou pour tenter un départ vers un pays voisin.

Les autorités suisses s’imaginent que si une personne est d’accord de rentrer dans son pays, tous les obstacles administratifs disparaissent – ce qui est inexact ! Cette présomption explique en partie la volonté politique de rendre le séjour des réfugiés aussi décourageant et dissuasif que possible.

2) Pourquoi ces personnes ne partent-elles pas par leurs propres moyens ?

On en voit la difficulté si la Suisse elle-même, avec les moyens administratifs qui sont les siens, ne peut pas obtenir de laisser-passer ! Comment des personnes sans aucuns moyens (téléphone, adresse, argent pour se déplacer vers tel consulat…) obtiendront-elles ce que les autorités n’obtiennent pas ? Les mesures fédérales suggèrent pourtant que les personnes « partent par leurs propres moyens ». Cette suggestion est d’autant plus irréaliste que les autorités fédérales savent parfaitement que le voyage aller n’a pas pu s’improviser sans moyens, qu’il ait été longuement préparé ou qu’il ait dû être décidé dans l’urgence. Il est donc fantaisiste de s’imaginer que les personnes « pourront repartir puisqu’elles ont pu venir jusqu’ici ». Pour venir, certaines se sont endettées ; certaines ont eu l’appui d’un proche ; certaines ont gagné au fil du voyage, par des emplois temporaires, de quoi parvenir à destination. Ici, sans parenté, sans amis ayant des moyens, sans autorisation de travail, sans moyens de contracter un emprunt, on voit mal comment elles pourraient « organiser elles-mêmes leur départ » !
Les autorités fédérales étant bien informées sur cet état de fait, on voit mal quel départ spontané elles espèrent, sinon l’entrée en clandestinité, dommageable pour toute la société (dumping salarial, perte de recettes des assurances sociales, insécurité, frais médicaux à charge des pouvoirs publics… Sur ce dernier point, voir : Quand on NEM…Témoignages, tome 4).

3) Ne peuvent-elles au moins partir dans un pays voisin ?

Il arrive que des personnes ayant reçu une décision « NEM » et refusant toute idée de retour au pays d’origine partent clandestinement dans un pays voisin, puis reviennent au bout de quelques mois, n’ayant trouvé aucune solution. Certaines déposent à nouveau une demande d’asile, n’ayant aucune autre solution pour sortir au moins quelques semaines de la clandestinité. Elles s’exposent bien sûr à une Non-Entrée en Matière très rapide ; il y a ainsi une sorte de « cercle infernal ». On a appris à Bâle p.ex. que des passeurs se proposent pour organiser le voyage dans les pays voisins. Mais les accords de réadmission font qu’une demande d’asile dans un pays voisin après une demande d’asile refusée en Suisse n’a aucune chance ! Les personnes ne savent plus comment sortir du cercle de la clandestinité. Or en déposant une demande d’asile en premier lieu, elles cherchaient justement à ne pas être clandestines.

4) Pourquoi des personnes restent-elles longtemps dans ces conditions ?

Parmi les personnes qui restent, ne partent pas, sont au régime de l’aide d’urgence depuis de nombreux mois, il y a en majorité des gens qui contestent le bien-fondé de la décision de « Non-Entrée en Matière » qui les a frappées et qui demandent que leur cas soit VRAIMENT examiné. Elles s’indignent que la Suisse n’ait pas pris leur demande au sérieux ; elles s’indignent aussi d’être mises en clandestinité alors qu’elles ont « joué le jeu » et qu’elles se sont annoncées en déposant leur demande d’asile.

Ces personnes disent clairement que ce qui les incite à tenter de rester, c’est la volonté d’être enfin entendues, sur les motifs qui les ont poussées à s’exiler. Parfois cette volonté s’épuise, le régime d’aide d’urgence a raison de leur résistance et elles disparaissent dans la clandestinité en Suisse ou dans un pays tiers ; elles réapparaîtront si à son tour la clandestinité a raison de leur résistance… Ainsi certaines personnes sont tantôt en aide d’urgence, tantôt en clandestinité (c’est à nouveau le « cercle infernal »). Mais elles n’ont pas trouvé de solution au problème qui les a fait quitter leur pays et les en tient éloignées.
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On ne peut donc généraliser en disant soit : « les personnes ayant une décision NEM partent », soit : « elles ne partent pas ». Une minorité de personnes part officiellement (renvoi par force ou départ volontaire) ; on parle d’environ 10% de « départs contrôlés ». Pour le reste : certaines (20 à 40% selon les périodes) restent et s’annoncent aux autorités cantonales ; d’autres entrent en clandestinité, pour rester en Suisse, ou partir dans un pays voisin. Comme nous avons pu l’observer, certaines personnes s’annoncent, puis disparaissent, puis s’annoncent à nouveau. Les proportions sont difficiles à estimer vu que les personnes sont sorties des statistiques du domaine de l’asile.
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Les Tomes 1 à 6 des TÉMOIGNAGES du Carrefour NEM vd sont disponibles c/o :

Carrefour NEM vd
(SOS-Asile Vaud)
réd.resp. Hélène Küng,
Alpes 24, 1006 Lausanne
helene.kung@citycable.ch
079 321 28 69

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