Didier Estoppey en première page du Courrier relève la parution d'une étude d' universitaire stagiaire au CSP qui démontre statistiquement que le système fabrique des "faux requérants" grâce à un "profilage ethnique".
La Côte d'Ivoire, la Guinée, la Guinée Bissau, la Sierra Leone, le Liberia ou le Nigeria: des pays qui n'ont pas précisément l'image de paradis sur terre. Et qui, même s'ils peinent à faire la Une des médias occidentaux, figurent régulièrement en bonne place dans les rapports d'Amnesty international pour les dictatures sanglantes, les guerres civiles ou les violences généralisées qui les rongent. Et qui provoquent leur lot d'exilés, dont certains viennent tenter leur chance en Suisse.
Pour trouver porte close: selon les statistiques officielles, les ressortissants de ces six pays d'Afrique de l'Ouest ne sont que 1 sur 200, en moyenne, à obtenir l'asile, et 3 sur 100 une admission provisoire. Contre un taux moyen d'acceptation, tous pays confondus, de 8% (28 % pour les admissions provisoires).
Inégalité de traitement? «Discrimination», répond Gaétan Nanchen, au terme d'une étude fouillée[1]. Ce jeune licencié en sciences politiques a mis à profit un stage au Centre social protestant de Genève pour se pencher sur les dossiers d'une centaine de requérants ouest-africains. Et chercher d'autres réponses à une question à laquelle l'Office fédéral des migrations (ODM), par ses décisions, semble trancher pour l'affirmative: «Tous les Africains de l'Ouest seraient-ils des menteurs?»
Le chercheur n'exclut pas qu'une proportion de requérants, qu'il ne lui appartient pas de quantifier, affabulent. Mais il n'en reste pas moins frappé par le «décalage extrêmement surprenant» entre des situations qui ne peuvent manquer d'authentiques persécutés et un taux d'acceptation proche du néant. Sur une cinquantaine de pages, il se livre à une analyse serrée des questions auxquelles sont soumis les requérants africains, pour démontrer à quel point elles sont très souvent «ethnocentriques». Les fonctionnaires de l'ODM s'échinent notamment à obtenir des renseignements chronologiques précis, qui échappent souvent à des cultures africaines développant une tout autre notion du temps. De même, les perceptions de l'espace par les requérants sont souvent incompatibles avec des batteries de questions dignes de l'Office topographique fédéral.
Mais il y a plus pervers: en l'absence de réponse précise, les interrogateurs finissent par la formuler eux-mêmes. Et le requérant par acquiescer, au risque d'entrer en contradiction avec des propos tenus plus tôt. «L'expérience générale de la vie» est un autre concept souvent invoqué par l'autorité pour motiver ses refus. Une expérience au nom de laquelle les fonctionnaires peinent souvent à croire, entre autres, que des requérants africains aient pu, comme ils le prétendent, soudoyer leurs gardiens et prendre la poudre d'escampette. C'est pourtant exactement ce qui est arrivé en 1983 avec Licio Gelli à Champ-Dollon, rappelle Gaétan Nanchen...
Reste une dernière option pour les candidats qui auraient su se défaire de toutes ces chausse-trapes: leur donner le choix entre deux options... perdantes. L'auteur cite le cas de deux requérants, l'un étant passé prendre des nouvelles de sa famille entre son évasion de prison et son départ du pays, l'autre pas. On a rétorqué au premier qu'il était invraisemblable qu'il ait pris un tel risque avant de fuir. Et on s'est étonné que le second se soucie si peu des siens...
Une mécanique infernale, conclut Gaétan Nanchen, et qui s'auto-alimente: «Ces rejets massifs et successifs engendrent un processus de généralisation, un effet de système dans lequel l'habitude crée une logique de refus.» Une logique qui porte un nom: le racisme.
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