Didier Estoppey dans Le Courrier nous révèle un nouveau drame vécu par un requérant d'asile expulsé par les autorités Suisse.
Arrêté à son atterrissage à Sanaa à bord d'un vol parti de Genève, un requérant yéménite débouté croupit depuis dix jours en prison. Berne est intervenu en faveur de sa libération. Jusqu'ici en vain.
«En cas de renvoi, je vais disparaître dans les prisons yéménites comme tant d'autres opposants au régime actuel.» Ainsi s'exprimait Ihab Alariki dans une ultime supplique adressée, le 14 septembre dernier, à l'Office fédéral des migrations (ODM). La suite des événements semble cruellement lui donner raison: renvoyé de Suisse le 13 octobre, avant même d'avoir eu le temps de contester un nouveau refus de sa demande d'asile après moult recours et demandes de reconsidération, l'homme a été arrêté dès son arrivée à l'aéroport de Sanaa, la capitale yéménite. Et croupit depuis lors en prison.
Arrivé en Suisse en novembre 2000, et vivant depuis lors à Genève, M. Alariki, 34 ans, avait motivé sa demande d'asile par les ennuis que lui avaient valu dans son pays des liens supposés – qu'il réfute – avec un parti d'opposition. Le 20 septembre, la police genevoise a tenté une première fois de mettre à exécution l'ordre d'expulsion venu de Berne. Mais le requérant a manifesté son refus suffisamment fort pour que le pilote refuse de l'embarquer à bord du vol prévu.
La femme et les enfants d'abord
La suite n'a pas tardé: le 4 octobre, c'est à 4 heures du matin que la police se présente au domicile de sa famille, pour embarquement immédiat. M. Alariki, lui, avait pris la précaution de se planquer chez des amis. Ce qui n'a pas empêché les forces de l'ordre d'expulser Madame et ses deux enfants, dont un bébé de 16 mois. «Je n'ai même pas emporté de bagages, raconte l'épouse, que nous avons pu joindre à Sanaa. J'étais convaincue qu'on ne nous renverrait pas sans mon mari.» C'est accompagnée de deux fonctionnaires de l'ODM qu'elle a fait le voyage du retour.
Son mari a suivi, de guerre lasse, après s'être rendu aux autorités genevoises. «Il n'aurait pas dû rentrer, mais il n'était plus dans son état normal depuis le renvoi des siens, confient des proches à Genève. Il nous a dit qu'il n'avait plus le choix, que la Suisse aussi était devenue une prison pour lui.»
Son retour n'en est pas moins considéré comme purement volontaire par le responsable du domaine de l'asile à l'Office cantonal de la population, Bernard Ducrest. Même s'il a d'abord fallu pousser le reste de la famille dehors... «Nous avons eu de multiples contacts avec ces gens pour chercher à préparer leur retour. A Genève, nous avons des procédures plutôt soft. Mais, à un moment donné, il faut bien appliquer les décisions, sinon personne ne rentrerait...» Mais quid de l'arrestation de Monsieur? «La responsabilité de vérifier l'exigibilité du renvoi incombe à l'autorité fédérale», rappelle M. Ducrest.
L'autorité fédérale, elle, commence par s'étonner de notre appel. «Il n'y a qu'un ou deux rapatriements par année vers le Yémen, et tout s'est toujours bien passé, nous affirme d'abord le porte parole de l'ODM, Dominique Boillat. Nous n'avons eu connaissance d'aucun problème concernant ce monsieur.»
Berne intervient
Mais, depuis l'affaire d'un requérant birman toujours en prison depuis son rapatriement de Suisse, il y a plus d'un an, qui avait défrayé la chronique, on prend tout risque de dérapage au sérieux. Vérification faite auprès de la mission permanente du Yémen, à Genève, l'ODM a obtenu vendredi, après nos premiers appels, la confirmation de la détention de M. Alariki. «Il semble qu'on lui reproche un passé pénal en Suisse, indique M. Boillat. Son dossier est pourtant totalement vierge. Le fait que nous ayons raccompagné Madame a peut-être été interprété comme une mesure policière qui a éveillé les soupçons des autorités yéménites. Nous avons immédiatement entrepris des démarches afin de lever ce malentendu. La mission du Yémen a bon espoir qu'il sera libéré dans les jours qui viennent.»
Dans la communauté yéménite de Genève, on est moins optimiste. On évoque un autre cas récent de requérant arrêté au Yémen à son retour de Suisse. Une rumeur réfutée par l'ODM, qui affirme n'avoir connaissance d'aucun cas similaire à celui de M. Alariki. Nos interlocuteurs yéménites craignent également que le fait de demander l'asile à l'étranger soit interprété par le gouvernement de Sanaa comme un aveu de culpabilité ou une trahison. A Amnesty International aussi, on se montre prudent. Sans pouvoir se prononcer sur le cas de M. Alariki, Denise Graf, responsable des questions d'asile au sein de la section suisse, indique avoir été amenée à intervenir, à deux reprises, contre des décisions de renvoi de Yéménites. «Le Yémen ressemble un peu à Guantanamo. Beaucoup de gens y sont détenus au secret, sans accès à aucun moyen de défense.»
M. Alariki n'a pas encore disparu dans les geôle yéménites. Son épouse a pu lui rendre visite mercredi dernier. Mais malgré l'optimisme de l'ODM et de la mission yéménite à Genève, elle attendait toujours hier soir sa libération... «Cela fait deux jours qu'on me dit 'demain peut-être'. Mes enfants s'impatientent et sont très inquiets.»
Nouveau renvoi en vue
Du côté des milieux de défense des requérants d'asile aussi, l'affaire laisse un goût très amer. Le Genevois Michel Ottet, du réseau Elisa, se dit scandalisé de la manière dont la famille de M. Alariki a été renvoyée, et encore plus de la légèreté avec laquelle son cas a été traité. «Son arrestation prouve que ses craintes étaient fondées. Nous allons demander son retour. L'affaire m'inquiète d'autant plus que les autorités genevoises s'apprêtent à exécuter le renvoi d'un autre requérant yéménite débouté. J'espère que, après ce qui vient de se passer, elles sauront y renoncer.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire