Le Courrier publie un article très documenté sur le retour d'une famille bosniaque à Sarajevo
DE LA CHAUX-DE-FONDS À SARAJEVO - Un an et demi après leur expulsion de Suisse, Adila, Fahreta et Nihad Omerovic vivent toujours dans un faubourg de Sarajevo. Et ils ne savent pas où ils trouveront du bois pour l'hiver.
Osijek, dans la banlieue de Sarajevo. La petite école vient d'être rénovée. A côté, on construit une nouvelle mosquée. La famille Omerovic –Adila, la mère, sa fille Fahreta (18 ans) et son fils Nihad (17 ans)– habite à quelques pas de là. «Ce n'est pas une vie...», lâche Adila Omerovic, les larmes aux yeux. La maison dans laquelle la famille s'est installée depuis quelques semaines n'est pas terminée.
Dans la cuisine, le four diffuse une chaleur parcimonieuse. C'est un Serbe qui leur a vendu cette bâtisse pour 15000 francs, explique Adila Omerovic: «Nous avons dû prendre un crédit, nous sommes très endettés maintenant.» Elle ne sait pas comment elle va rembourser, ni même comment payer la prochaine traite. Comme beaucoup, à Sarajevo, elle a fort peu de chance de trouver du travail. La famille subsiste grâce à la rente de veuve d'Adila, dont le mari est mort à la guerre, soit pas tout à fait 300 francs. A cela s'ajoutent une bourse de 38 francs que Fahreta partage avec son frère Nihad, et un soutien provenant de Suisse. Lors de l'expulsion des Omerovic, en juillet 2004, un comité de soutien constitué à La Chaux-de-Fonds a réuni 4000 francs. Cette somme est envoyée par petites tranches à Sarajevo. «N'oubliez pas de dire aux gens de La Chaux-de-Fonds que nous leurs sommes très reconnaissants de leur aide. Sans cela, nous ne pourrions pas survivre ici.»
Retour à Sarajevo
La famille était arrivée illégalement en Suisse au printemps 1999 et en a été expulsée cinq ans après. Malgré le soutien des exécutifs de La Chaux-de-Fonds et du Locle, des enseignants de Fahreta et Nihad, des écoles et, surtout, de leurs camarades de classe, qui ont réuni plus de 5000 signatures en trois jours. La loi a été appliquée à la lettre: la famille Omerovic a dû prendre l'avion pour Sarajevo après avoir reçu 300 francs par personne pour toute aide au retour.
«Par chance, mon oncle se trouvait à Sarajevo à ce moment-là », raconte Fahreta. «Il est venu nous chercher à l'aéroport, nous a logés et nous a expliqué comment faire.» Les débuts ont été difficiles, à l'école aussi. Après dix ans passés en Allemagne et en Suisse, Fahreta et Nihad avaient une maîtrise insuffisante de leur langue maternelle. «J'ai aussi eu de la peine à trouver une école», explique Fahreta. Il leur manquait même de quoi payer l'inscription. Le comité de soutien s'est alors approché de la direction du lycée de La Chaux-de-Fonds, où Fahreta étudiait. Et c'est grâce à cette intervention qu'elle a été acceptée. Depuis, elle a pu mettre à niveau ses connaissances de la langue bosniaque. Elle espère devenir un jour pédiatre, ou peut-être interprète.
«C'est encore la guerre ici»
Mais l'hiver est là, et il fait froid à Sarajevo. Adila, Fahreta et Nihad Omerovic dorment au premier étage de la petite maison, sur des matelas posés sur des cartons à même le sol. Fahreta raconte qu'elle doit s'enrouler dans trois couvertures, un châle autour de la tête. Et malgré cela, elle a encore froid. La famille va sans doute devoir s'installer dans le salon, à côté de la cuisine, car c'est le seul endroit à peu près chauffé en hiver. «Nous n'avons pas d'argent pour acheter du bois, ni pour payer un appareil dentaire, ni pour les écolages», se lamente Adila Omerovic. De plus, elle ne se sent pas en sûreté: «C'est encore la guerre ici.» Le fait qu'on leur ait récemment volé leurs chaussures devant la porte de la maison renforce leur sentiment d'insécurité. Et Fahreta relate comment, en ville, une femme lui a arraché la chaînette en or qu'elle portait autour de cou, avant de se sauver en courant. A leur retour, ils n'ont pas été accueillis à bras ouverts: «Ici, tout le monde nous parle de la belle vie qu'on devait mener à l'étranger, où les poulets nous tombaient soi-disant tout cuits dans l'assiette. Des gens sont venus nous rendre visite car ils pensaient que nous étions riches et qu'ils pourraient profiter de nous. Mais nous n'avons rien.»
Ruines et mauvaises herbes
Dans la famille, c'est Fahreta qui semble le mieux armée pour s'en sortir. Elle étudie consciencieusement, prépare son diplôme d'allemand pour la fin de l'année et celui de français pour le mois de mai. De son côté, Nihad fréquente une école technique, mais il doit refaire l'année. Il a des problèmes avec la langue et se sent malheureux. «Il rêvait de devenir une star de foot», explique Fahreta avec un sourire triste, «et maintenant il ne peut même plus s'entraîner dans un club car notre mère n'a pas de quoi payer la cotisation.»
Et Adila? Elle préférerait retourner là où elle vivait avant la guerre, avec son mari et ses enfants: à Pobudje, sur la commune de Bratunac, près de Srebrenica, à deux heures de Sarajevo. Nous nous y rendons et elle nous montre son ancienne patrie. La maison est complètement détruite, les ruines sont envahies par les mauvaises herbes. C'est ici qu'Adila aimerait vivre, près de la tombe de son mari. «Il y a un an, j'ai adressé une demande d'aide au retour à la mairie de Bratunac», dit-elle. Elle attend toujours la réponse. Elle montre l'autre côté de la route, et elle raconte les chars des nationalistes serbes, les tirs, son mari et ses amis partis au combat armés de fourches. Et son mari retrouvé mort, deux balles dans le ventre. A deux pas d'ici.
Le bonheur du passé
Dans les buissons, nous trouvons une plaque à gâteau, puis un lambeau du tablier de la belle-mère d'Adila. Des souvenirs des temps heureux. Adila montre les maisons, énumère les noms de leurs habitants. Elle rayonne, raconte, rêve de faire nettoyer le terrain et de reconstruire, de vivre comme avant, là où elle a connu le bonheur. Depuis treize ans, elle n'a plus eu de véritable chez-soi, elle s'est endettée, vivant au jour le jour, dans l'insécurité et la dépendance. La famille a été marquée par ces conditions de vie. «Nous avons toujours eu besoin de l'aide des autres, nous n'avons pas appris à nous battre», constate Fahreta, qui ajoute: «Nous ne savons pas nous défendre, nous ne connaissons pas le système, ici tout est étranger pour nous.» Elle se souvient de la vie en Suisse, le réseau social qu'elle y avait, le soutien des professeurs et des amis. «Ici tout le monde est dans la même situation, tout le monde a besoin d'argent et cherche du travail. Il n'y a personne pour nous ouvrir des portes.»
Note : *Renate Metzger-Breitenfellner et Jutta Vogel se sont rendues à plusieurs reprises en Bosnie-Herzégovine ces dernières années. En octobre, elles étaient à Srebrenica. Cet article a été traduit et adapté de l'allemand par Alain Meyrat.
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