Grégoire Nappey, l'un des journalistes de 24heures qui suit de plus près la crise de l'asile dans le canton de Vaud exprime son opinion en page deux...
Selon les dernières rumeurs, c’est pour jeudi. Ce jour-là en effet— ou en tout cas très prochaine-ment — le Conseil d’Etat vau-dois présentera sa réponse à la fameuse motion Melly.
L’épisode est très attendu. Serge Melly est un député radi-cal qui avait, ce printemps, ac-cepté de défendre au Grand Conseil une motion de la gauche. Il s’opposait à la détermination de la majorité bourgeoise du gouvernement à renvoyer manu militari les personnes encore en Suisse du groupe dit des «523» requérants d’asile déboutés. Or, une motion est contraignante pour l’Exécutif: si le texte de base est avalisé par les élus, comme ce fut le cas ici début juillet avec l’appui d’une mino-rité de droite, le Conseil d’Etat doit répondre par un projet de décret ou de loi. C’est donc ce texte que Jean-Claude Mermoud s’apprête à présenter.
Le moment choisi n’est pas entièrement un hasard. Certes, le conseiller d’Etat l’avait dit: ce sera pour fin septembre. Mais ce qui vient de se passer à l’échelle fédérale a de quoi réjouir le ministre UDC ( 24 heures de jeudi). Le Conseil national, dans la foulée du Conseil des Etats, vient en effet de durcir la législa-tion sur l’asile et le séjour des étrangers. Et force est de consta-ter que le monde politique n’a, ici, guère brillé, à droite comme à gauche. Pendant que les uns s’entêtaient lourdement à diabo-liser les requérants au lieu de construire une vraie politique migratoire globale, les autres sautillaient d’indignation en brandissant les droits de l’homme et la menace d’un réfé-rendum qu’ils lanceront avant tout pour sauver la face politi-quement mais qu’ils perdront sû-rement. Bref. Tout cela arrange bien Jean-Claude Mermoud, qui s’était même déplacé à Berne pour suivre les débats et qui peut ainsi surfer dans son canton sur la vague de l’intransigeance fédé-rale.
Car comment va-t-il répondre à Serge Melly et à la gauche? Un peu de politique-fiction. Con-traint de travailler sur un projet que sa majorité de droite n’ap-prouve pas parce que contraire au droit fédéral, le gouverne-ment ne va pas se défiler, histoire qu’on ne puisse pas lui reprocher ensuite de ne pas avoir suivi la volonté parlementaire. Ainsi, il présente un décret conçu par ses services, mais qu’il demande au Grand Conseil de ne pas approu-ver parce que, sur le fond, il ne tient pas la route!
On voit bien où peut conduire cette schizophrénie gouverne-mentale: si le Parlement vote comme sur la motion Melly, le décret est accepté. Les requé-rants concernés ne sont plus me-nacés de détention, ils ont à nouveau le droit de travailler et leurs dossiers sont revus par une commission d’experts. Happy end.
C’est oublier un peu vite qu’une frange de la droite (UDC et certains libéraux) est déjà prête à recourir contre une telle décision. Elle s’empressera de saisir la toute jeune Cour consti-tutionnelle, issue de la nouvelle Constitution cantonale, et l’on sera reparti pour des semaines, voire des mois de procédure. Pendant ce temps, les dossiers se régleront les uns après les autres, en négociant parfois un retour «volontaire», comme cela a été le cas avec plusieurs depuis le dé-but de l’été, mais sans renvoi musclé.
Ainsi, alors que le dossier sera enlisé dans les méandres juridi-ques, de quelque 270 personnes concernées on descendra, l’air de rien, à 250, puis 230, etc. Pendant ce temps, tous les protagonistes de cette affaire pourront garder la tête haute. Les uns parce qu’ils n’auront pas dérogé à leur politi-que en appliquant les mesures de contrainte, les autres en prou-vant que, par leur ténacité, les requérants auront été «sauvés». Et encore un peu plus tard, tout sera oublié. Ou presque.
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