mercredi 28 septembre 2005

Le parlement s'assied sur le droit international

Chantal Savioz titre de cette manière ses commentaires parus dans la Tribune de Genève:


Christoph Blocher n'en démord pas. La révision de la loi sur l'asile, telle qu'elle a été adoptée hier par le Conseil national, est en tout point conforme au droit international. Le chef de Justice et police a répété hier face au parlement que de nombreux experts juridiques avaient donné leur aval.


La révision de la loi heurte toutefois la gauche, mais aussi plusieurs organisations internationales, dont le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), qui, le premier, a réagi hier à la déision de la Chambre du peuple. «Certaines dispositions examinées sont parmi les plus sévères d'Europe.»

Le porte-parole du HCR Ron Redmond a réaffirmé les «sérieuses préoccupations», attirant l'attention sur l'actuelle chute vertigineuse des demandes d'asile. Selon d'autres juristes spécialisés dans le droit international, le nouvel arsenal législatif contrevient largement à certaines dispositions, et en particulier à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), la Convention relative au statut des réfugies (dite Convention de 1951) ainsi que la Convention internationale des droits de l'enfant.

Choquée, l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) n'a pas hésité à interroger la tradition humanitaire suisse et «une loi votée au mépris de ses engagements internationaux». Selon Yann Golay, porte-parole, cet étrillage porté à l'asile est d'autant plus grave qu'«en l'absence d'instance judiciaire compétente et face à une Cour des droits de l'homme surchargée à Strasbourg, les parlementaires suisses sont les seuls garants de la constitutionnalité d'une loi fédérale.»

Non-entrée en matière pour les personnes dépourvues de documents de voyage.

Le HCR se montre préoccupé par la mesure. L'organisation internationale a officiellement demandé hier aux autorités suisses de «s'assurer que cette disposition soit appliquée à chaque cas individuel en respectant la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés».

Ron Redmond redoute que des personnes ayant droit à une protection internationale soient exclues du domaine de l'asile en Suisse. Il cite l'exemple des réfugiés en provenance du Kosovo en 1999. «La plupart n'avaient pas de documents sur eux», a-t-il souligné. Mandaté par la Confédération, le professeur de droit bernois Walter Kälin avait lui aussi rendu une expertise allant dans le même sens en novembre 2004.

Le délai de recours de 5 jours ouvrables sans garantie d'accès à une consultation juridique indépendante.
Cette disposition, introduite dans le cadre des mesures d'allégement budgétaires est entrée en vigueur en avril 2004. Selon l'OSAR, elle porte atteinte à l'article 13 de la CEDH, qui assure un droit de recours à toute personne dont la demande d'asile est rejetée. Un délai de 10 jours ouvrables couplé à une garantie d'accès à une consultation juridique pourrait respecter l'article 13.

Nouvelle forme de détention pour insoumission aux contours flous.

L'OSAR estime que la combinaison de détention figurant dans le projet de loi posent des problèmes de conformité à l'article 5 de la CEDH, qui réserve l'incarcération à des cas précis. Un emprisonnement de deux ans pour un refus de coopérer à son renvoi, pourrait poser un problème de proportionnalité.

La transmission de données personnelles avant la clôture de la procédure d'asile.

Le HCR a pris position contre cette mesure permettant aux autorités suisses de prendre contact avec les autorités du pays d'origine pour l'organisation du renvoi. Suite à une décision de première instance, ce type de contact se révèle en total porte-à-faux avec la Convention sur les réfugiés de 1951 et pourrait se révéler dangereux pour la vie du requérant concerné et de ses proches.

L'exclusion de l'aide sociale pour tous les requérants déboutés.

Le Commissaire européen des droits de l'homme, Alvaro Gil-Robles, a rendu ce printemps un rapport invoquant l'article 3 de la CEDH. Celui-ci proscrit les peines et traitements inhumains ou dégradants. La mesure figurant dans la nouvelle loi pourrait par ailleurs frapper des mineurs, comme l'a souligné le libéral vaudois Claude Ruey, lors des débats. Cet état de fait constituerait une violation à la Convention européenne des droits de l'enfant.
Les socialistes lancent un référendum

La gauche, les Verts ainsi que les libéraux n'ont rien pu faire pour contrer le durcissement de la loi sur l'asile. Le Conseil national a suivi hier les Etats sur tous les points. Une large coalition UDC, radicale et PDC a en effet suivi la ligne dure blochérienne. Il s'agit, selon eux, de lutter contre les abus. Seule l'aide d'urgence a été repêchée in extremis. Une révision taxée d'«inhumaine, inefficace et hypocrite», par les socialistes, pour qui «un référendum apparaît incontournable».

Les conseillers nationaux sont ainsi revenus sur le concept d'admission humanitaire, permettant le regroupement familiale. Ils ont accepté en revanche le renforcement du statut d'admission provisoire. Ils se sont alignés sur les décisions des Etats concernant l'extension des non-entrées en matière aux personnes dépourvues de documents de voyage.

Dans la foulée, les conseillers nationaux ont accepté d'exclure de l'aide sociale tous les requérants déboutés. Pour clore en beauté, ils ont encore dit «oui» à l'extension de la durée d'emprisonnement en vue du refoulement.

Le camp bourgeois a largement souligné le bien fondé d'une loi restrictive, et en tout point conforme au droit international (lire ci-contre). La complexité des situations et celle de l'appareil juridique ont d'ailleurs été évoquées par le radical Philippe Müller. L'Argovien a recommandé à ses collègues de «voter à l'aveugle» le texte.

Le Vert genevois Ueli Leuenberger est quant à lui monté aux barricades, soulignant que cette énième révision engageait notre pays vers «une descente aux enfers». Quant à la présidente du Groupe socialiste, Hilde Fässler, elle a accusé radicaux et PDC de «sacrifier la tradition humanitaire».

La dernière divergence concernant l'aide d'urgence sera probablement éliminée par les Etats ce mois de décembre. La gauche, soutenue par une large coalition d'associations ainsi que les Eglises protestantes, pourra dès lors lancer son référendum. Le peuple sera sans doute appelé à voter début 2007.

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