Toute la Norvège a parlé de Maria Amelie cette semaine. Le cas de cette clandestine de 25 ans est en train d’ébranler la coalition au pouvoir et force tout le monde à relancer la discussion sur un thème longtemps balayé sous le tapis: celui de l’immigration.
Résumons l’affaire qui commence en 2002 : Venus d’Ossétie du Nord, Maria Amelie et ses parents demandent asile à la Norvège, qui la leur refuse la même année. Maria Amelie est encore mineure quand ses parents décident de ne pas obtempérer à l’ordre de quitter le sol norvégien.
C’est donc en situation de clandestinité, que Maria Amelie va apprendre le norvégien et exercer un boulot de femme de ménage, comme bon nombre de femmes immigrantes, avec ou sans papiers.
Mais Maria Amelie va plus loin : elle va finir ses études secondaires avec les plus hautes distinctions, réussir sans problème ce qui serait l’équivalent du cégep et finalement obtenir une maîtrise en sciences et technologies à l’Université de Trondheim.
Jusqu’ici tout va bien. Les autorités norvégiennes sont peut-être strictes, mais on rencontre toujours des gens prêts à aider, ou à simplement fermer les yeux.
L'année dernière, Maria Amelie publie un livre, Ulovlig norsk ("Illégalement Norvégienne") où elle raconte son expérience en souhaitant sensibiliser la population au sort des quelques milliers de sans-papiers qui habitent la Norvège; elle est déclarée « Norvégienne de l'année » par la revue Ny tid (Temps nouveau).
Et voilà qu’arrive cette soirée du 12 janvier dernier.
Maria Amelie est invitée à prononcer une conférence à l’école Fridtjof Nansen de Lillehammer. Fridtjof Nansen - il faut le noter - premier à atteindre le pôle Nord, également humaniste et grand défenseur des réfugiés. Haut-commissaire pour les réfugiés de la Société des Nations en 1921, prix Nobel de la paix en 1922 et instigateur du passeport Nansen qui permit à des milliers de déportés, réfugiés ou apatrides de retrouver ailleurs une situation de légalité.
C’est donc lors de cette conférence, à l’occasion d’une pause où Maria Amelie se trouve à l’extérieur de l’école Fridtjof Nansen, que huit policiers l’arrêtent et l’embarquent sans lui laisser le temps d’aller chercher ses affaires.
Huit policiers pour Maria Amelie ? C’est ce que tous les médias ont rapporté, mais la police a répliqué qu’ils n’étaient que cinq. Quoi qu’il en soit, ils ne lui ont pas laissé le temps d’aller chercher ses affaires et la cour a par la suite déclaré que l’opération policière avait manqué de doigté et de "musicalité".
Depuis l’arrestation, des milliers de Norvégiens armés de chandelles sont descendus dans les rues de Oslo, Trondheim ou Bergen pour demander au gouvernement de ne pas déporter Maria Amelie. Des offres d’emplois ont suivi et même la Statoil, la pétrolière de l’État, lui a offert un poste.
Des divisions ont éclaté au sein de la coalition gouvernementale, entre le parti socialiste qui souhaite l’annulation de l’ordre de déportation et le parti des travailleurs qui se veut réaliste : le règlement, c’est le règlement et y faire une exception ne serait pas équitable pour les autres clandestins…
Quant aux partis d’opposition, le parti chrétien souhaite qu’on offre la résidence à Maria Amelie mais soutien que le gouvernement se servira de cet exemple pour montrer au reste du monde comme il est difficile de s’établir en Norvège.
À droite, le parti conservateur, d’ordinaire peu sensible à la situation des réfugiés et demandeurs d’asile, trouve quand même dommage que Maria Amelie doive partir parce qu’elle correspond selon eux au profil d’immigrant idéal, celui de travailleur qualifié. Le parti réclame quand même des ajustements quant aux règles qui prévalent dans le cas de demandeurs d’asile mineurs qui deviennent majeurs pendant l’étude du dossier.
La droite populiste, le mal nommé "Parti du Progrès" (FrP) qui ne rate jamais une occasion de réclamer des lois plus sévères contre l’immigration, marche sur des œufs, de peur de se mettre à dos la vague de sympathie populaire à l’égard de Maria Amelie. En bon populiste, le parti s’interroge à savoir pourquoi la Norvège devrait abriter des terroristes notoires comme ce mollah Krekar, supposément menacé de mort en Irak, et se départir de Maria Amelie, qui s’est bien intégrée aux valeurs norvégiennes et qui a reçu une éducation norvégienne (possible qu’elle soit largement plus éduquée que la plupart des électeurs de ce parti).
Dans le même souffle, on déclare que toute cette bonne intégration n’est pas valide, puisqu’elle a été acquise dans l’illégalité.
Maria Amelie est toujours dans l’attente d’être renvoyée en Russie. Après une semaine d’incarcération à Trandum, le centre carcéral de l’immigration près de l’aéroport d’Oslo, elle a pu retrouver sa liberté sous condition de se rapporter à la police sur une base quotidienne.
Pression populaire oblige, il est possible qu’on assouplisse les règles pour favoriser son retour rapidement. Une autre raison pour Maria Amelie de se consoler : les ventes de son livre explosent comme jamais.
En attendant, le règlement c’est le règlement.
Bruno Fortin, agence science presse
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