Il y a onze ans, il arrivait clandestinement en Suisse. Washington Allauca vient d’obtenir son diplôme d’ingénieur et un emploi. Mais il risque l’expulsion. Un article de Pascale Burnier pour 24 Heures.
© OLIVIER ALLENSPACH | Entouré de sa femme et de ses enfants, scolarisés à Lausanne, Washington Allauca a accompli un long chemin. Tous espérent pouvoir rester en Suisse.
«Je viens de construire un pont entre ceux qui n’ont rien et ceux qui réalisent leur rêve. Entre ceux qui doivent travailler et ceux qui peuvent étudier. Entre les immigrés et les indigènes, entre les préjugés et le courage d’aller jusqu’au bout. Vive la Suisse!» Washington Allauca, 38 ans, Equatorien, termine son discours le poing levé. Vendredi dernier, ce petit homme discret était le seul étudiant à prendre la parole lors de la remise des diplômes de la HEIG d’Yverdon-les-Bains. Washington choisissait de révéler une partie de son secret. Il est désormais ingénieur en génie civil, mais il est aussi un sans-papiers.
Désormais, il le dit. Il n’a plus rien à perdre. Dans un mois ou deux, il sera définitivement fixé sur son sort et celui de sa famille. Sans permis de travail, il rentrera au pays. Après onze ans de vie à Lausanne, après un deuxième enfant né ici et avec un métier qu’il n’aura peut-être jamais pu exercer. En octobre dernier, quelques jours seulement après la défense de son bachelor, il signait un contrat de travail avec une société biennoise d’ingénierie. Mais sa demande de permis a été refusée par Berne. Reste l’espoir du recours.
Tout, mais pas de pitié! Il le dit haut et fort: «J’en parle, car je veux montrer que les migrants peuvent réussir. Avant tout, j’ai gagné ma place dans la société, je me suis battu pour réussir mes études tout en travaillant et en m’occupant de ma famille.» Pas d’amertume non plus, même si l’incompréhension reste entière. Alors qu’aujourd’hui il pourrait offrir son savoir à une entreprise helvétique, la chaise restera peut-être vide. «On ne choisit pas de migrer. Le canton a payé cher pour que je fasse des études, mais on préfère donner ma place à des Européens, même s’il est quasi impossible d’en trouver. Moi, j’ai appris les normes de construction helvétiques, j’ai fait mon diplôme ici, mais je viens du mauvais pays…» Entre idéalisme et détermination, Washington ne renie pas sa chance. Il a accompli son rêve. Il peut construire des ponts. Encore gamin, dans la campagne équatorienne, il admirait ces ingénieurs qui venaient avec des projets pour amener l’eau ou l’électricité. Migrant dans la capitale Quito, il passe un baccalauréat, puis rejoint le chemin de bien d’autres en travaillant durant trois ans à l’usine.
Mais il refuse ce destin tout tracé. Il obtient alors une licence en mathématiques. Impossible pourtant de subvenir aux besoins de la famille. A 27 ans, il suit ses frères et sœurs et décide de tout quitter pour la Suisse.
Aux études et au travail
Arrivé sans titre de séjour, il repart de zéro. Dans une ferme. Il s’inscrit à l’Ecole de français moderne, à Lausanne, et obtient presque miraculeusement un permis d’étudiant. «En réalité, j’étais comme les autres migrants. Il fallait que je travaille parallèlement pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille.» Un premier diplôme acquis après trois ans de pratique de sa nouvelle langue, il poursuit son rêve et enchaîne avec l’EPFL. Un vaste défi puisque, la nuit, il revêt l’uniforme de gardien. Après sept semestres réussis, il rate le huitième de peu. «On m’a alors retiré mon permis d’étudiant. Comme j’avais la possibilité de poursuivre mes études à Yverdon, j’ai déposé une demande de permis humanitaire. Histoire de gagner du temps…»
Encore un refus de Berne. Le canton lui accorde tout de même une tolérance et le laisse terminer les six derniers mois de son école d’ingénieur. Un parcours du combattant qu’il garde pour lui. «Je prenais des vacances à mon travail pour passer les examens. A l’école, j’ai toujours caché mes faiblesses. Je voulais être l’égal de tous.» Vendredi dernier, il dit avoir vécu son jour de gloire. Il rentrera peut-être au pays, mais ces derniers mots sont pour ces jeunes Suisses et étrangers qui se doivent d’étudier.
Les quotas pèsent plus lourd que la pénurie d’ingénieurs
Pour appuyer sa demande de permis de séjour, Washington Allauca exhibe deux lettres de soutien. L’Union suisse des sociétés d’ingénieurs-conseils est claire: il y a pénurie d’ingénieurs dans le milieu de la construction en Suisse. Selon une récente étude, 61% des postes disponibles ne trouvent pas preneur. Le conseiller d’Etat vaudois François Marthaler fait le même constat et appuie le nouvel ingénieur.
Pourquoi expulser des étrangers répondant à une demande du marché de l’emploi et formés de surcroît en Suisse? «Nous avons accordé une vingtaine de permis de séjour à des étudiants étrangers l’an dernier, explique François Vodoz, adjoint du chef du Service vaudois de l’emploi.
La possibilité existe, même si elle est très sélective et dépend de contingents fédéraux. Au vu du coût d’une formation, et selon le potentiel économique ou scientifique d’un étudiant, il est possible d’octroyer un permis.» C’est que la situation reste délicate pour les non-membres de l’Union européenne. «En principe, une fois son cursus terminé, l’étudiant étranger doit rentrer dans son pays», précise Henri Rothen, chef du Service vaudois de la population.
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