mercredi 1 décembre 2010

A propos du populisme

Jean-Michel Dolivo, avocat et député AGT-SolidaritéS, et Erik Verkooyen, évaluateur politique, sont les invités de la rubrique Réflexions du 24 Heures.

Les chiens sont lâchés, la pâture est jetée

jm dolivoL’initiative de l’UDC a passé! Les étrangers, responsables de tous les maux, chômage, précarité, insécurité, risques pour nos retraites, pénurie de logements… Le discours raciste – «Les étrangers, dehors!» – apparaît comme une réponse à toutes ces peurs. Une réponse à 100% fausse, mais qui marche… Une réponse, confortée par un contre-projet gouvernemental, véritable copie conforme de l’initiative, avec un vernis de civilité légitimant de fait la réaction xénophobe.

La campagne a été d’une violence extrême: amalgames et insultes vis-à-vis des étrangers. L’UDC ne s’arrêtera pas là: elle proposera la naturalisation à l’essai, le retrait de la nationalité ou l’expulsion systématique des sans-papiers.

La montée du racisme, en Suisse comme en Europe, est liée à la crise et à ses conséquences pour la majorité de la population. Qui va payer cette crise? Les banquiers, les spéculateurs, ceux qui ont accumulé des fortunes colossales, ou bien les salariés, les retraités, les jeunes? Des résistances collectives aux politiques d’austérité brutale menées par les gouvernements européens, de droite comme de gauche, se sont développées en 2010: grèves générales en Grèce, en Espagne, au Portugal, en France, manifestations de rue en Irlande et en Grande-Bretagne.

Jusqu’ici ces mouvements de très grande ampleur n’ont pas permis de stopper la machine à creuser les inégalités sociales, notamment vu l’absence de projet politique crédible pour un changement de cap radical. Les partis socialistes et les écologistes au pouvoir adhèrent sur le fond à un système dont ils tirent aussi profit: dernier exemple, celui du strapontin doré de 100 000 francs par an de Moritz Leuenberger, entré au conseil d’administration d’Implenia à peine un mois après avoir quitté le Conseil fédéral! Les salariés de la construction, qui luttent cette année pour une augmentation de 150 francs par mois apprécieront…

Une véritable course de vitesse est engagée: la politique xénophobe et les discours racistes sur les prétendus abus dont se rendraient coupables les étrangers constituent un banc d’essai pour la droite réactionnaire. Aujourd’hui les étrangers, demain les invalides et les chômeurs une fois encore, après-demain les retraités, les jeunes et les femmes! Dans les années 1930, les boucs émissaires étaient les Juifs, les Roms, les communistes! Cela a conduit au génocide et à la guerre.

Le contexte et les rapports de force sont aujourd’hui différents. Mais il est urgent de construire une autre réponse à la crise actuelle du capitalisme et à ses effets délétères. En s’opposant de manière déterminée à la régression sociale en marche, et non en se compromettant en permanence avec ceux qui la pilotent! En refusant une société fondée sur l’accaparement, par une toute petite minorité, de la très grande masse des richesses humaines et naturelles, pour construire ensemble un projet collectif fondé sur la justice, l’égalité et la solidarité.


Le populisme identitaire est même arrivé en Suède…

e verkooyenLa Suède, si souvent citée en exemple et marquée par un demi-siècle d’hégémonie sociale-démocrate, en est encore bouleversée: les Démocrates suédois, honnis par l’ensemble de l’establishment, ont accédé au parlement lors des élections de fin septembre et contraint le gouvernement de centre-droite sortant au règne minoritaire.

Qualifié d’extrême droite, ce parti s’est profilé sur les thèmes de l’immigration et surtout d’une islamisation présumée, à l’image de Geert Wilders aux Pays-Bas. Son leader, Jimmie Åkesson, aux allures de courtier en assurances, n’a pourtant rien à voir avec son sulfureux homologue néerlandais, même si son parti s’inscrit bien dans une logique de droite identitaire conservatrice, donc souverainiste et eurosceptique.

Pour mieux comprendre l’ampleur du séisme, il faut savoir que l’échiquier politique suédois, plus à gauche qu’en Suisse, n’avait cessé de rétrécir. La gauche est devenue pragmatique, et la droite ne remet plus l’héritage social en question. Dès lors, les sept (!) partis qui composent les deux blocs, emmenés par les sociaux-démocrates et les bien nommés Modérés (30% chacun), rivalisent de centrisme et ne couvrent guère plus de terrain idéologique que nos PS et PDC réunis, le chant de L’Internationale et le catholicisme en moins.

Ce tassement reflète bien la mentalité suédoise et un mot propre au pays, lagom , signifiant quelque chose comme «le juste milieu souhaitable». Medelsvensson , le Suédois moyen (et ils sont très nombreux à correspondre au signalement!) est aujourd’hui un centriste conformiste à fibre sociale, politiquement correct, très fier de son pays, et tout sauf porté à l’extrémisme.

L’immigration croissante et les revendications des musulmans ont cependant fini par mettre à mal son paisible paradigme consensuel. D’autant que, littéralement taboues, ces questions n’ont jamais pu être apprivoisées par un débat public digne de ce nom, ce qui a préparé l’avènement d’un mouvement populiste, assez téméraire pour s’en emparer. Il faut dire que rien ne lui a été épargné: agressions physiques, sabotage, black-out médiatique. Or, comme nous le savons bien en Suisse, ces méthodes sont contre-productives.

Ainsi, l’islam s’impose désormais comme un véritable enjeu politique en Occident, lié à trois facteurs: l’actualité mondiale, l’attitude des musulmans dans nos pays et l’essence justement politique de cette religion. Que les pays progressistes par excellence comme la Suède, le Danemark et les Pays-Bas, traditionnellement si ouverts et tolérants, épargnés de tout extrémisme jusqu’au XXIe siècle, en arrivent à le thématiser, voilà qui en dit long sur le déclin de l’idéal multiculturaliste.

* L’auteur a grandi en Suède, et notamment participé à la rédaction de Religion and Politics: Islam and Muslim Civilisation, des professeurs Jan-Erik Lane et Hamadi Redissi (Ed. Ashgate, 2004).

Extrait du 24 Heures

Aucun commentaire: