Infatigable représentant des gens du voyage, May Bittel est aussi pasteur, musicien et brocanteur. Cette année, il a multiplié les interventions en faveur des siens.
Il a joué avec le violoniste Yehudi Menuhin, et avec Stéphane Grappelli. Et puis au club new-yorkais Blue Note en janvier dernier, alors qu’il y donnait des cours. Mais la casquette de musicien n’est de loin pas la première que porte le guitariste manouche May Bittel. Ce Tzigane qui va sur ses 60 ans se bat pour que les 35 000 nomades suisses de sa communauté soient reconnus comme une minorité ethnique. Les gadjos – soit les non-Gitans pour les Tziganes – aiment leur musique? Ils n’acceptent pas pour autant leur mode de vie. «La manière de vivre des gens du voyage est pourtant à l’image de leur musique: pour la comprendre, il faut écouter», souligne May Bittel.
Président de la Mission tzigane suisse et expert auprès du Conseil de l’Europe, où il a fondé le Forum européen des Roms et des Gens du voyage, notre homme ne cesse de voyager pour défendre les intérêts de sa communauté. Il vient de rentrer de Pologne et repart à la fin du mois à Bruxelles à l’invitation d’une commission européenne. «Mais auparavant, je vais à Strasbourg pour la mission», glisse-t-il. Véritable porte-parole des gens du voyage, May Bittel, marié à Hipla et père de 4 enfants, est en effet aussi pasteur. Au bénéfice d’une formation théologique évangélique de cinq ans à Paris, il prêche régulièrement dans sa communauté, comme à l’invitation de différentes paroisses.
Rencontré aux puces sur la plaine de Plainpalais à Genève avec cette fois son chapeau de brocanteur, May Bittel salue et discute avec les badauds comme dans son salon. Confortablement installé d’ailleurs dans un fauteuil de velours vert, le teint hâlé, les lunettes teintées, il se dévoile à petites doses. «Qu’est-ce que vous voulez savoir? J’ai tellement de choses à dire…»
Tout au long de l’année, les Gitans ont fait les gros titres des médias, en France surtout, mais aussi en Suisse. «Les autorités locales utilisent les méfaits de Tziganes étrangers pour incriminer les Tziganes suisses, commente-t-il. Je n’arrive pas à comprendre que la population s’y laisse prendre et qu’elle ne fasse pas la différence: mettre tout le monde dans le même sac et nous imposer des camps, c’est discriminatoire et ressemble un peu trop aux pratiques nazies. Regardez en France: renvoyer tout un peuple hors de ses frontières, à quoi cela vous fait-il penser?» May Bittel lève le bras en signe de protestation, puis ajoute: «On doit plus que jamais nous entendre et trouver des solutions négociées», martèle-t-il.
Un appel sur son téléphone portable l’interrompt. Il s’entretient en manouche avec son interlocuteur – l’une des 8 langues qu’il pratique – puis reprend: «Le problème cette année en Suisse est né avec les requérants d’asile économiques. Ils sont venus pour chercher du travail, n’en ont pas trouvé et ont mendié. Puis l’arrivée de Roms qui ont laissé derrière eux des places sales a provoqué des réactions et des amalgames inacceptables. Je suis intervenu jusqu’à trois fois par semaine de façon officielle pour répondre à ces attaques.» Un client potentiel s’approche de son étalage de montres et de téléphones portables qu’il vend sur sa table de marché, dans des présentoirs vitrés. Une poignée de main et un «Bonjour, chef, comment ça va?» plus loin, May Bittel lui dit de revenir samedi: «Je te ferai un prix, reviens, va, ce ne sera pas cher.»
Les affaires marchent? Le brocanteur hausse les épaules: «Ça va, ça va… Je suis libre, vous comprenez? J’aurais pu faire des tournées musicales, mais ça ne m’intéresse pas. Il n’y a pas que l’argent.» Et May Bittel d’expliquer que le propre d’un Gitan, c’est d’avoir ses racines partout. «Où que je sois, je suis chez moi dès que j’ai ma caravane de 6,50 mètres avec moi. Je vis de brocantes, de missions, de cours de théologie que je donne aussi. Et puis je m’adapte facilement: avec les miens, on nettoie des toits, on repeint des façades… L’eau chaude n’est pas toujours là, mais on vit dehors, et ça n’a pas de prix.»
L’hiver arrivant, May Bittel et ses proches ont pris leurs quartiers dans un terrain de 7000 m2 qu’ils ont acheté à Céligny (GE) il y a une dizaine d’années. Il y est considéré comme un hors-la-loi, notamment par l’ancien maire de la commune, pour y avoir construit, sans autorisation, une route goudronnée plantée de réverbères. «C’est assez typique, estime May Bittel. On tolère les gens du voyage qui voyagent, pas ceux qui s’arrêtent.»
May Bittel a connu la fuite. Une épine douloureuse qu’il confie là, au détour de la conversation: «J’avais 8 ans. Après mon premier mois d’école en Valais, nous avons plié bagage avec mes parents du jour au lendemain. Pourquoi? Pour échapper au kidnapping des enfants tziganes mené par le gouvernement suisse sous l’égide de Pro Juventute.» Cette action, menée de 1926 à 1973, visait à lutter contre le vagabondage et à scolariser les enfants des nomades. «Depuis là, ajoute-t-il, j’ai vécu de fuite en fuite, avec mes parents qui avaient peur.»
C’est plus tard, dans la foi chrétienne, que May Bittel dit avoir retrouvé confiance. «Et c’est en tant que chrétien que je prends la défense des gens du voyage: ils se retrouvent dans les valeurs que je défends, qui sont la liberté et la dignité.» Le carrousel tenu par un Manouche fait rêver… mais le Tzigane fait peur? «Nous sommes appelés à tisser des ponts avec la population. Mais à elle de venir aussi à notre rencontre.»
Par Gabrielle Desarzens dans le Temps
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