Un voyage de huit semaines,de la banlieue parisienne à celle de Bucarest, avec les Roms expulsés.
25 août 2010, gymnase de Choisy-le-Roi,Val-de-Marne
Un groupe d’hommes rassemblés à l’entrée de la salle de sport fument des gauloises. Des cris d’enfants résonnent. A l’intérieur du gymnase, des dizaines d’enfants jouent entre les matelas à même le sol et des sacs en plastique empilés les uns sur les autres. Près de chaque matelas de fortune, des traces de la vie d’avant. Des petits tas dérisoires précieusement rangés où s’entassent pulls, paquets de riz, lait en poudre pour nourrisson, jouets cassés. Et puis quelques photos de Roumanie. J’ai l’impression de me retrouver dans un pays en guerre. Ces enfants, ces femmes, ce gymnase, ces objets sauvés me font étrangement penser aux réfugiés croisés lors de voyages dans le Caucase ou ailleurs. Des vies interrompues, des destins en errance.
Dans ce gymnase du 7, rue Joliot-Curie, 35 enfants, 25 femmes, et 12 hommes. Des Roms venus pour la plupart de la ville de Timisoara. Ils vivaient depuis deux ans sous l’A86. Le 12 août à l’aube, des policiers français sont venus démanteler le camp. Les baraques en bois ont été détruites, les caravanes confisquées. Les hommes, les femmes, les enfants se sont retrouvés sans rien, sur un terrain vague en bordure de Choisy-le-Roi. La veille de l’expulsion, un petit garçon était né dans le camp.
27 août 2010, gymnase de Choisy-le-Roi, le soir
Les yeux noirs de Rodika fixent longtemps, très longtemps une fenêtre du gymnase. Elle secoue ses longs cheveux de jais noués dans son dos, et pousse un lent soupir. «Où va-t-on pouvoir vivre maintenant? Je suis épuisée d’être chassée de partout, toujours chassée…» Rodika a 36 ans, elle est déjà grand-mère. Elle vivait depuis deux ans sous l’A86, avec sa fille et ses deux petits-enfants de 3 et 4 ans. Elle est venue avec son mari en France voilà huit ans. Et puis son mari s’est tué dans un accident de voiture. Elle a survécu en vendant des fleurs dans le métro, 15 à 30 euros par jour. De quoi vivre. Depuis que le camp a été détruit, elle passe ses journées à tenter d’organiser la vie dans le gymnase.
Ces derniers jours, la tension est palpable. Soixante personnes entassées dans un seul espace, des vieillards, des enfants âgés de 10 jours à 14 ans. Plus de sommeil, plus d’intimité. La fatigue se lit sur tous les visages. Un homme allongé à quelques mètres de Rodika crie: «Je n’en peux plus, je n’ai pas dormi depuis presque deux semaines. Les enfants se réveillent toute la nuit, pleurent, crient. Nos vieux sont malades. Et puis, vous les journalistes, vous venez du monde entier nous voir, nous photographier comme si on était des animaux dans des cages au zoo. C’est ça, ce que nous sommes devenus, des bêtes de foire, une curiosité.» Rodika tente de le calmer. Elle s’excuse. «On est à bout. On est enfermés ici sans rien pouvoir faire. Ce que l’on sait, c’est qu’on ne veut pas retourner à Timisoara. Là-bas, on est rejetés par les Roumains, on n’a pas de travail. Moi, tout ce dont je rêve aujourd’hui, c’est que mes petits-enfants puissent aller à l’école ici en France. Je n’ai pas pu y aller quand j’étais petite, ma fille non plus. C’est mon espérance, qu’ils apprennent à lire, écrire…» Il y a une autre raison pour laquelle Rodika veut pouvoir rester en France. Une raison qu’elle préfère taire. Après un long silence, elle tourne vers moi son beau visage, ses yeux noirs brusquement animés par ce qu’elle nomme «l’espérance»: «J’espère que je vais arriver au bonheur, un jour. Tu sais, je ne peux pas quitter la France: c’est ici que l’homme que j’aime est enterré. Ici, c’est chez moi maintenant, j’ai un lien pour toujours avec cette terre de France.»
Lire la suite de ce reportage de Manon Loizeau dans le Temps
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