samedi 29 mai 2010

Martigny: des délinquants comme les autres ou des criminels étrangers ?

L'origine des auteurs de la fusillade de dimanche dernier monopolise l'attention. La police et les médias doivent-ils systématiquement dévoiler la nationalité des auteurs de délits? Un article de Simon Petite dans le Courrier.
Un mort, deux blessés, pour sept coups de feu tirés. Voilà le bilan tragique de la fusillade entre deux groupes – des «ressortissants serbes» d'un côté et des «Portugais du Cap-Vert» de l'autre – le dimanche de Pentecôte en plein centre de Martigny. Pas sûr que l'histoire ferait couler autant d'encre si les acteurs impliqués étaient Suisses. Car le débat sur la criminalité étrangère est brûlant. La semaine prochaine, le parlement se prononcera sur l'initiative de l'Union démocratique du centre (UDC) dite des moutons noirs visant à généraliser l'expulsion des criminels étrangers. L'UDC valaisanne a d'ailleurs aussitôt réclamé la révocation du titre de séjour des personnes impliquées dans la fusillade, tout comme Christophe Darbellay, le président du PDC-Suisse, partisan, lui, d'un contre-projet un peu plus modéré.
«Par transparence»
C'est la police valaisanne qui a immédiatement communiqué les nationalités des protagonistes par «transparence», selon le chef de l'information et de la prévention Jean-Marie Bornet. Les choses ne se seraient pas passées différemment dans un autre canton. Même le chef de la sûreté neuchâteloise Olivier Guéniat, qui conteste vigoureusement tout lien entre la nationalité et la criminalité1, s'est rangé à cette pratique. «Si un communiqué ne mentionne pas la nationalité des auteurs d'un délit, on est assailli de téléphones de journalistes. Si on cachait cette information, les médias finiraient par la découvrir. Autant dire les choses tout de suite», explique-t-il, un brin fataliste.
Sexe, âge et couleur du passeport. «La police, dans le feu de l'action, est condamnée à communiquer sur des éléments factuels», estime M. Guéniat. Même si, selon lui, ce sont l'environnement dans lequel vit un individu, son contexte familial ou ses perspectives d'intégration qui déterminent le passage à l'acte. «C'est la justice qui établira un profil plus complet. Je ne crois pas qu'on puisse mener une réflexion sur la complexité de la criminalité en traitant à chaud d'un fait divers.»
Le fait que la police donne systématiquement la nationalité des auteurs de délits n'oblige pas les médias à en faire autant. Mais depuis dix ans, les mentalités ont beaucoup évolué. Auparavant, la mention de la couleur du passeport constituait l'exception. C'est maintenant devenu la règle.
Médiateur pour les publications d'Edipresse, Daniel Cornu en témoigne: «J'étais personnellement très réticent. Aujourd'hui, je crois qu'il faut évaluer l'intérêt en termes d'information au cas par cas et donner la nationalité de toutes les personnes, et pas seulement celle des étrangers. En revanche, je reste opposé à la mention de l'origine. Un Suisse naturalisé est un Suisse à part entière. Le ramener à ses origines, c'est nier sa naturalisation. Personne ne remet en cause la nationalité des joueurs de l'équipe suisse de football.»
Mentionner la nationalité, mais pas de façon discriminatoire, c'est aussi la doctrine du Conseil suisse de la presse, l'organe chargé du respect des règles déontologiques de la profession. Son président Dominique von Burg estime que «pour les événements de Martigny, il y avait un intérêt public à révéler la nationalité des uns et des autres. Car, qu'on le veuille ou non, la question des criminels étrangers est très présente dans le débat politique. Il vaut mieux dire les choses et les expliquer. Les non-dits sont beaucoup plus insidieux.»
Lecture biaisée
Les avis sont plus critiques du côté des instances de lutte contre le racisme. «Dans la plupart des cas rapportés dans les médias, la mention de la nationalité ne se justifie pas. Elle n'apporte rien en termes d'explication du contexte et ne fait que renforcer les préjugés», analyse Sabine Simkhovitch-Dreyfus. La vice-présidente de la Commission fédérale contre le racisme craint que la mention des origines des auteurs de délits prenne une place de plus en plus importante.
Karl Grünberg, de l'association Acor SOS Racisme, est totalement opposé à la publication de la nationalité. «Elle ne constitue pas une information en soi. Je constate seulement qu'en Suisse la généralisation de cette pratique a renforcé la croyance dans une délinquance à caractère ethnique ou racial.» Le cas de Martigny serait révélateur. «La focalisation sur l'origine des protagonistes fait croire à un conflit entre communautés», affirme le militant. Or aucun élément ne confirme cette version. Et la police valaisanne n'était jamais intervenue pour une bagarre entre «Serbes» et «Portugais du Cap Vert».

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Le chemin de l’information

Le drame de Martigny a été confirmé par un communiqué de la police valaisanne dès le lendemain des événements. Il est d'emblée fait mention de l'origine des acteurs impliqués: d'un côté, «des Portugais du Cap-Vert» et de l'autre «des ressortissants de l'ex-Yougoslavie». Quelques heures plus tard, un second communiqué précise qu'il s'agit de «Serbes» et de «Capverdiens».
Ces éléments ont été repris plus ou moins fidèlement dans tous les médias, y compris dans ces colonnes. Ressortissants des Balkans à lire les uns, Serbes, voire Kosovars, pour les autres. Quant à l'auteur présumé du coup de feu fatal, sa nationalité portugaise a rapidement disparu des comptes rendus et a été remplacée par sa seule origine capverdienne.
Le chef de l'information et de la prévention de la police valaisanne, Jean-Marie Bornet, explique avoir communiqué l'origine capverdienne des ressortissants portugais «parce qu'elle était explicitement mentionnée sur leurs papiers». Pour l'autre groupe, la police s'est contentée de la couleur de leur passeport. Interrogé sur son lit d'hôpital par Le Matin, l'un des deux blessés de nationalité serbe a affirmé faire partie de la minorité albanophone de ce pays. Il dit être arrivé en Suisse à l'âge de six mois.

SPE dans le Courrier

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