mercredi 31 mars 2010

Migrants et “affaire Kadhafi”

Sheena McLoughlin de l’European Policy Centre, influent think tank bruxellois, se penche sur l’attitude européenne dans l’affaire Kadhafi. Les propos sont recueillis par Benjamin Adler, Bruxelles, pour la Tribune de Genève.

L’Europe a-t-elle lâché la Suisse, comme le prétendent anonymement certains diplomates européens?
Il faut surtout comprendre qu’elle marche sur des œufs avec la Libye. L’Espagne a confirmé le week-end dernier que les partenaires Schengen de la Suisse n’ont pas apprécié l’établissement d’une liste noire par Berne sans aucune consultation au préalable. Donc, quand la Libye décide en représailles de priver de visas tous les ressortissants de la zone Schengen, des Etats membres comme l’Italie, Malte et l’Allemagne sont encore plus embêtés par une affaire qu’ils auraient aimé voir résolue bien avant.

Comment justifiez-vous l’attitude conciliante de l’UE envers Tripoli?
Elle est pragmatique. Pour la première fois, Bruxelles instaure un programme national en faveur de la Libye dans le cadre de son Instrument européen de voisinage et de partenariat. Tripoli va recevoir 60 millions d’euros de la Commission européenne entre 2011 et 2013. Cette première s’inscrit dans une phase de rapprochement. Depuis plus d’un an, la Commission est en discussion avec Tripoli pour la signature d’un «Framework agreement», lequel contient un élément crucial pour Bruxelles et les Etats membres: l’accord de réadmission des immigrés illégaux qui arrivent en Europe via la Libye. Bruxelles a besoin du feu vert de Tripoli pour que ces clandestins soient renvoyés en Libye et n’entrent pas sur le territoire d’un pays de l’UE, d’où ils peuvent demander l’asile.

Cela explique-t-il entièrement la position très critique de l’Italie vis-à-vis de la Suisse?
L’Italie a déjà un accord bilatéral de ce type et les chiffres prouvent, selon Rome, qu’il est efficace. En 2008, entre le 1er mai et le 31 août, quelque 14 000 clandestins sont entrés sur le territoire par mer, contre 1300 pour la même période en 2009. Pour Rome, cette réduction drastique est une conséquence de l’accord avec Tripoli, qui accepte de recevoir les bateaux d’immigrés illégaux qui ont transité par ses ports et sont interpellés par les autorités italiennes en mer. L’Italie n’a plus à les accueillir sur ses côtes. Il ne faut pas non plus oublier les liens commerciaux, très importants. L’Allemagne et la France ont de gros intérêts en jeu. Ce sont trois pays fondateurs de l’Union, donc ça pèse lourd dans la balance.

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