mercredi 3 mars 2010

Les apprentis sans-papiers font leur entrée aujourd’hui à Berne

Alors que l’accès à l’apprentissage des sans-papiers enflamme les Vaudois, le Conseil national s’empare du sujet. la proposition de la ville de Lausanne est diversement appréciée …

Un article de Martine Clerc, Berne, pour 24 Heures

apprentis clandestins National

En décidant d’engager des apprentis clandestins, Lausanne a allumé une mèche qui n’est pas près de s’éteindre dans la classe politique vaudoise. Et le débat s’étend à Berne. Ce matin, le Conseil national traitera de la question lors d’une session extraordinaire sur la migration. Trois motions dans ce sens seront débattues parmi une centaine d’autres. Leurs auteurs: deux Verts – Antonio Hodgers (GE) et Christian van Singer (VD) – et un démocrate-chrétien, Luc Barthassat (GE), soutenus par la gauche et par certains libéraux-radicaux (lire ci-contre l’interview de Peter Malama, patron de l’Association des arts et métiers de Bâle-Ville).

Une question fédérale
La décision explosive de l’exécutif lausannois? A saluer, selon eux, car elle permet de (re)lancer le débat. «Mais c’est au niveau fédéral que doit être réglée cette question, qui dépasse le clivage gauche-droite», affirment ces élus de tous bords. La question est aussi débattue dans onze cantons. Le Grand Conseil de Bâle-Ville et la commune de Zurich sont favorables. Reste que le sujet n’est pas brûlant sous la Coupole: «Ce n’est tout simplement pas un sujet politique pour beaucoup d’élus alémaniques», note Christophe Darbellay, président du PDC, qui votera oui à la proposition de Luc Barthassat demandant que l’apprentissage soit autorisé aux seuls sans-papiers ayant effectué leur scolarité en Suisse.

Quant à la décision de Lausanne, pas sûr qu’elle serve la cause: «Ce geste spectaculaire d’une ville prête à violer la loi pourrait au contraire faire pencher les indécis vers le non», estime Martine Brunschwig-Graf (PLR/GE), qui soutiendra aussi la motion Barthassat.


INTERVIEW EXPRESS
PETER MALAMA CONSEILLER NATIONAL LIBÉRAL-RADICAL BÂLOIS ET DIRECTEUR DE L’ASSOCIATION DES ARTS ET MÉTIERS DE BÂLE-VILLE

«La décision de la ville de Lausanne est un signal important que les entrepreneurs devraient soutenir»

– Depuis deux ans, dans le canton de Bâle-Ville, vous défendez l’accès des jeunes sans-papiers à l’apprentissage. Vos raisons?
– Je représente les patrons de milliers de PME, et beaucoup d’entre eux souhaitent engager des apprentis sans statut légal. Certains sont venus me voir pour que nous trouvions une solution. Car ces jeunes, pour la plupart, sont très motivés, loyaux et durs au travail.

– Pouvoir suivre un apprentissage avec un contrat de travail, n’est-ce pas le premier pas vers une régularisation?
– Soyons clairs, je ne demande pas la régularisation collective des sans-papiers. Mais être titulaire d’un CFC devrait, selon moi, être un argument favorable lorsqu’un jeune demandera sa régularisation. Si la réponse est négative, il devra toutefois la respecter. Et avec un CFC en poche, il sera de toute façon mieux armé pour rebondir dans son pays d’origine.

– Comment jugez-vous la décision de la ville de Lausanne?
– C’est un signal important qui montre que nous devons chercher une solution au niveau fédéral. Les cantons urbains comme Genève, Vaud, Bâle et en partie Zurich ont tous les mêmes problèmes. Même si les motions dont nous discuterons demain (ndlr: aujourd’hui) ont été déposées avant la décision de l’exécutif lausannois, cette dernière relance le débat à Berne.

– Le Centre patronal vaudois juge pourtant la décision lausannoise choquante et inadmissible, car elle encouragerait le travail au noir…
– Ce n’est pas mon point de vue ni celui de nombreux patrons de mon canton. C’est la situation actuelle qui peut pousser des jeunes clandestins à disparaître, vers 15-16 ans, des radars. Avec le risque de tomber dans des petits délits, d’engendrer des coûts pour la collectivité en termes de justice ou, justement, d’opter pour le travail au noir. Les entrepreneurs ont le droit de se battre pour faire baisser les impôts ou pour encourager la libre entreprise, mais, en contrepartie, ils doivent être prêts à prendre leurs responsabilités sociales. La question de l’accès à la formation professionnelle des jeunes clandestins en fait partie. Les patrons devraient soutenir la position de la ville de Lausanne

– Votre position n’est de loin pas partagée par l’ensemble des libéraux-radicaux. Vous seriez-vous trompé de parti?
– Absolument pas, je ne vais pas prendre ma carte du PS! (Rires.) Je suis minoritaire, c’est clair. La droite estime que ces gens, en Suisse illégalement, devraient immédiatement quitter le pays. C’est facile à dire, mais les faits sont là, et il faut trouver une solution pragmatique. Je défends, avec mon parti, une économie forte. Mais avec des responsabilités.

– Que dites-vous à ceux qui craignent de voir les places d’apprentissage échapper aux jeunes établis légalement en Suisse?
– A Bâle, il y a suffisamment de places.

– Permettre à des jeunes sans-papiers d’effectuer une formation complète en Suisse, n’est-ce pas prendre le risque d’attirer un flux supplémentaire de migrants?
– Pas davantage qu’aujourd’hui. Les clandestins peuvent déjà suivre ici une scolarité complète, jusqu’à l’université. Et n’oublions pas que la Suisse n’est pas le seul pays à avoir ratifié la Convention des droits de l’enfant, qui garantit que chaque mineur a droit à l’éducation. Ne faisons pas payer aux enfants de sans-papiers le choix de leurs parents.

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