mercredi 7 octobre 2009

A Paris, des mineurs afghans en transit vers «une meilleure vie»

REPORTAGE

Une centaine de mineurs, en transit en France, dorment dans les rues de Paris. L'association France terre d'asile tente de les convaincre d'abandonner leur errance pour s'installer en France.

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PAR MAEL INIZAN

Ils tiennent à garder l'anonymat. Après plusieurs mois de voyage jusqu'en France, des mineurs

Ils tiennent à garder l'anonymat. Après plusieurs mois de voyage jusqu'en France, des mineurs afghans se rassemblent place du Colonel Fabien à Paris, espérant passer une nuit au chaud dans un hébergement d'urgence, avant de reprendre la route. (AFP)



La nuit vient de tomber sur la place du Colonel-Fabien, dans le Xe arrondissement de Paris. Une quarantaine d'adolescents afghans patientent, par petits groupes, sous la lumière jaune d'un lampadaire. «Ils sont nombreux aujourd'hui», soupire Julien Mache, sous-directeur de la plate-forme d'accueil des mineurs de l'association France Terre d'Asile. Il vient à peine d'arriver, mais déjà des jeunes migrants se pressent autour de lui.
25 places d'hébergement d'urgence
Dans la pénombre, d'une caresse sur la joue, il essaye de repérer les plus jeunes. «Je regarde s'ils ont de la barbe. C'est une ficelle comme une autre, il faut bien trouver des moyens de choisir», s'excuse-t-il. Seulement vingt-cinq d'entre eux dormiront cette nuit à l'abri, dans un hébergement d'urgence géré par l'Armée du Salut. Les autres rejoindront leurs aînés sous le pont Jean Jaurès ou dans quelques «dortoirs» improvisés autour du square Villemin.

Pour la plupart de ces jeunes migrants, Paris n'est qu'une étape de plus avant la Grande-Bretagne ou les pays scandinaves. Ils transitent quelques jours, parfois quelques semaines, dans le Xe arrondissement de la capitale, avant de remonter vers le nord. Depuis le démantèlement de la jungle de Calais, le 21 septembre dernier, les départs sont moins fréquents. Ils sont nombreux à se présenter, chaque soir, en espérant passer une nuit au chaud.

Cruellement, en quelques minutes, deux groupes se forment.«On essaye de prendre les plus vulnérables: les plus jeunes, ceux qui viennent d'arriver en France ou qui sont malades», explique Julien. Quelques adolescents, plus âgés, abandonnent déjà. D'autres essayent de négocier. Derrière, Jessica Maestracci, la collègue de Julien, recompte inlassablement tandis qu'une riveraine qui assiste à la scène s'indigne : «Mais où vont dormir tous les autres ?» Dans un haussement d'épaules, Jessica répond, désolée, qu'ils «essayent d'en prendre un peu plus en hiver, mais que le nombre de places à leur disposition est limité».Le droit français protège pourtant les mineurs étrangers isolés.
Le mirage de l'Eldorado anglais
Trois fois par semaine, les intervenants sociaux de France Terre d'Asile effectuent leurs maraudes dans le Xe arrondissement. Entre la gare de l'Est, le square Villemin et la place du Colonel Fabien, ils vont à la rencontre des jeunes migrants. Ils les informent de leurs droits, des dispositifs d'hébergement d'urgence pour une nuit, mais surtout de la possibilité de mettre un terme à leur «errance».

L'association dispose de 50 places d'hébergement supplémentaires, dit de «stabilisation». Elles sont ouvertes aux mineurs isolés qui décident de s'installer en France. Une quinzaine de salariés ont pour mission de les accompagner jusqu'à une prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance et un placement en foyer ou en famille d'accueil.
Peu d'entre eux se résignent cependant à s'engager dans ce long processus, parfois semé d'embûches juridiques. Baignés dans le mirage de l'eldorado anglais, « pour eux, une nuit en hébergement, c'est laisser passer une chance de gagner l'Angleterre», résume Julien.
Farid, 15 ans, est arrivé à Paris depuis une semaine, après quatre mois de voyage. Lorsqu'il est parti, son oncle lui a promis une vie meilleure en Grande-Bretagne. Les passeurs ont avancé l'argent du voyage à sa famille, mais les intérêts courent. Il doit commencer à rembourser rapidement. «C'est trop long ici pour avoir des papiers et pouvoir travailler, alors je vais plus loin», lâche-t-il, résigné.
«S'apprivoiser»
Vendredi dernier, lors d'une visite dans un foyer d'accueil, Eric Besson, ministre de l'immigration, soulignait que 92 des 125 mineurs isolés arrêtés lors du démantèlement de la Jungle avaient accepté d'être placé en centre d'hébergement. Devant les journalistes, le ministre se déclarait «heureux» de les savoir à l'abri, annonçant qu'ils pourraient maintenant «demander l'asile, apprendre le français et aller à l'école».
Cependant, pour Radoslaw J. Ficek, directeur de la plate-forme d'accueil des mineurs de France Terre d'asile, le ministre tire ses bilans trop rapidement. «Si la moitié d'entre eux est encore là dans un mois, ce sera déjà une très belle réussite», prévient-il, «le processus pour les convaincre de rester prend du temps».

Pour France Terre d'Asile, l'hébergement d'urgence, même pour une seule nuit, est la première étape. Elle permet d'instaurer une relation avec ces adolescents. Le dispositif est encore récent, à Paris. Il n'a vu le jour qu'en décembre dernier, pendant les fêtes de fin d'années. Le plan grand froid impose alors une réaction des autorités. Sollicitée, l'Armée du Salut met à disposition, de nuit, un foyer d'accueil de jour des SDF, la Maison du Partage. Dans cette pièce de quelque 70 m2, chaque soir, les tables sont mises de côté pour étendre 25 matelas, à même le sol.

Alors qu'on leur sert un repas chaud, Julien fait le tour des groupes. En pachtoune, il prend des nouvelles, s'enquiert des départs et des arrivées. Quelques minutes pour construire le lien entre ces jeunes en transit et la société française. «On s'apprivoise», explique Julien. «Un placement trop rapide divise les chances de réussite».
Julien retrouve ici Ashmat, 12 ans, qu'il suit depuis son arrivée à Paris, il y a deux mois. Le jeune migrant avait fait part de sa volonté de rester en France. Il s'était cependant volatilisé après que Julien l'a signalé à l'Aide sociale à l'enfance, pour entamer le processus.
Après ces nouvelles nuits passées dehors, enroulé dans une couverture aux abords du canal Saint-Martin, il dit vouloir «une vie meilleure» et parle à nouveau de rester en France pour«étudier et pourquoi pas devenir médecin». Julien l'encourage, mais lâche, prudent : «On verra s'il est toujours là demain»

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