L’antisémitisme est-il de retour en Pays de Vaud? «Il faut rester très vigilant! Le mal, insidieux, rôde», répond l’auteur d’Un Juif pour l’exemple. Lundi, à Ropraz, il faisait face à ses lecteurs. Un article de Christian Aebi dans 24 Heures.
Lundi soir, à Ropraz, l’écrivain Jacques Chessex lisait en public quelques pages de son livre Un Juif pour l’exemple. Le crime de Payerne, en 1942, servait de point de départ à une réflexion publique sur le «Christianisme et l’antisémitisme». Un rendez-vous organisé par les Eglises. Le centre culturel de L’Estrée n’arrivait pas à contenir les 250 personnes présentes, la plupart contemporaines de l’auteur.
Silence de plomb quand Jacques Chessex, le ton grave, raconte la Payerne de la guerre. Le fanatisme nazi, le pauvre sort d’Arthur Bloch. Un vieil homme au fond de la salle lève ses lunettes, essuie ses larmes. «Pourquoi rebouiller tout cela», murmure-t-il. Puis, n’y tenant plus, se dresse sur sa canne et lance: «Chessex, qu’est-ce que les Payernois t’ont fait?»
«Ce crime n’est pas le fait des Payernois, lui répond Antoine Reymond, membre permanent du Conseil synodal. Il s’agissait de quelques hommes emmenés par un pasteur fanatique qui faisait partie de mon Eglise. Les Payernois doivent admettre ce qui s’est passé chez eux. En mettant une plaque commémorative où le drame s’est déroulé, ils rappelleraient à tous que cela ne doit jamais se reproduire.»
«C’est au Conseil d’Etat et au Grand Conseil vaudois de faire un acte de mémoire sur cette affaire, lance un membre de l’Amitié judéo-chrétienne. Ça aurait pu se passer n’importe où dans le canton.» Applaudissements dans la salle.
L’antisémitisme aura donc été au cœur de la soirée. Tour à tour l’école, l’éducation, le politique ou la culture ont été appelés à la rescousse. «Merci, Monsieur Chessex d’avoir écrit ce livre!» lance une femme. «Depuis tout gosse, je me rappelle du regard, de la méfiance que l’on posait sur les Juifs, explique Mark Elikan. A mon père, bien connu à Yverdon, dragon à l’armée, mobilisé, on avait demandé s’il était plutôt Suisse ou plutôt Juif.»
«J’aurais pu en être»
Pour Marcel Cohen-Dumani, chargé de relation de la Communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud (CILV), le conflit dans la bande de Gaza ravive de vieux démons: «Les gens ne font pas la différence entre un pays, Israël, majoritairement peuplé de Juifs, et les juifs. Nous sentons une pression. Nous recevons des envois anonymes, nous essuyons des remarques. Quelque chose se passe.» Un autre témoignage, poignant, est venu d’un ancien Payernois. «Grâce à Dieu, j’étais trop jeune de trois ans. Mais il s’en est fallu de peu pour que je sois avec cette bande. Vallotton (ndlr: l’un des coupables) avait un pouvoir de persuasion inouï. Il conditionnait les copains, le jeudi. Je ne pouvais pas y aller, j’étais garçon livreur. Mon patron, pharmacien, était un Allemand «prononcé», il était proche d’un coiffeur, un vrai nazi! La période était dure. On triait les lavures pour vivre. C’étaient les riches qui mangeaient du jambon. Les discours des nazillons avaient un terreau propice. C’était la crise. Comme maintenant…»
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