mardi 16 septembre 2008

Redonner un visage à l'asile»

16 septembre 2008 - PROPOS RECUEILLIS PAR MANUELA GIROUD -Le Nouvelliste

«LA FORTERESSE»Immergé deux mois dans le centre de requérants de Vallorbe, Fernand Melgar en est ressorti avec un film fort et sensible.

Modèle de documentaire, «La forteresse» rappelle qu'en matière d'asile, c'est d'êtres humains qu'il s'agit. CLIMAGE

«Je n'invente rien en disant qu'il est impossible de faire des films sans aimer la personne qui est en face de soi.» Sans éprouver ce sentiment, peut-on se lancer dans cette aventure: passer deux mois, plus six de pré-enquête, dans le Centre d'accueil des requérants d'asile de Vallorbe? Fernand Melgar l'a fait. En résulte un documentaire exemplaire, «La forteresse», qui a valu à son auteur le Léopard d'or de Locarno, catégorie Cinéastes du présent.

«Ça fait plaisir à ma maman», plaisante le cinéaste vaudois, pour qui le succès du film constitue avant tout «une reconnaissance des gens que j'ai filmés, aussi bien les requérants que les gens qui travaillent au Centre».

Jamais encore l'Office fédéral des migrations n'avait accordé pareille autorisation. La démarche de Melgar les a «un peu déconcertés», mais la durée même de cette immersion les a convaincus du sérieux de l'entreprise. L'équipe de tournage a eu carte blanche, les autorités n'ont demandé aucun droit de regard.

Loin des extrêmes

Avec «La forteresse», le cinéaste se pose en observateur et non en donneur de leçons. Son but, recentrer le débat sur l'asile, «une notion complètement galvaudée en Suisse depuis plusieurs années». Lui, le gamin arrivé clandestinement en Suisse, le Confédéré de fraîche date, est très sensible à l'idée de terre d'asile. «C'est une invention suisse; c'est Henri Dunant, c'est la Croix-Rouge... Je trouve que la Suisse doit en être fière, ça fait partie de son savoir-faire au même titre que l'horlogerie ou les banques.»

Entre ceux pour qui les requérants sont tous des profiteurs et ceux qui veulent ouvrir la porte à tout le monde, les discours sont devenus extrémistes. Pour le cinéaste, il importe de «redonner un visage à l'asile, un visage humain, non seulement aux requérants mais à ceux qui appliquent une loi votée par le peuple, mais qui est l'une des plus restrictives d'Europe.»

Les reportages montrant des requérants de dos, visage flouté, ont sans doute contribué à donner d'eux une image négative, les associant consciemment ou non à des trafiquants de drogue. «On avait oublié une chose fondamentale: dans l'asile, il y a des familles, des enfants, des jeunes, des moins jeunes, des gens âgés, des handicapés...»

Une réalité si complexe

Le film montre des employés et des surveillants respectueux, à l'écoute, presque des assistants sociaux. Pas de dérapages non plus entre les requérants. De quoi se faire taxer d'angélisme par les mauvais esprits? «Ce sont les choses telles que je les ai vues là-bas», rétorque le cinéaste. «Et il ne faut pas oublier qu'à la fin du film on voit une dame, très gentille au demeurant, dire avec un sourire: vous avez 24 heures pour quitter le territoire suisse.»

Cette scène, parmi d'autres, dit la réalité infiniment complexe de l'asile et des migrations en général. «Je ne dis pas que j'ai une solution ou qu'il faut accepter tout le monde. Mais je dis qu'on ne peut pas uniquement faire de la Suisse et de l'Europe une forteresse, à savoir un endroit où l'on protège ceux qui sont à l'intérieur et où l'on rejette ceux qui sont à l'extérieur.» Sur cent personnes qui passent par Vallorbe, une seule obtiendra l'asile. Les fonctionnaires passent donc leur temps à dire non et, d'un autre côté, ils expliquent aux gens déboutés comment faire recours. «C'est très suisse.»

Fiction en préparation

Fernand Melgar n'est pas ressorti émotionnellement indemne de son séjour à Vallorbe. «C'était éprouvant mais, comme les auditeurs qui y travaillent, on apprend à se protéger. C'est dur mais ça vous amène beaucoup. Ces rencontres humaines sont à un tel degré d'intensité que ça résonne encore longtemps après.»

Il évoque avec beaucoup de tendresse ceux qu'il a croisés. Le jeune Africain qui veut juste «revoir son papa et sa maman» - qui ne le voudrait pas? La mère Rom qui essaie maladroitement de rouler son auditrice - «elle fait ça juste pour sauver ses enfants». L'Erythréen dont le récit n'est peut-être exact à 100%, mais dont la souffrance se lit sur le visage. Et tant d'autres miséreux.

Fernand Melgar travaille actuellement à son premier film de fiction. Il se déroulera dans le milieu des travailleurs clandestins.

On ne se refait pas.

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