JEAN-HÉBERT ARMENGAUD et CHANTAL RAYES (à São Paulo)
LIBERATION - QUOTIDIEN : mercredi 2 juillet 2008
Français et Européens qui prévoyiez des vacances d’été en Amérique latine, méfiez-vous. La «directive retour» sur l’immigration, votée le 18 juin par le Parlement européen, a provoqué une réelle levée de boucliers outre-Atlantique. Du rio Grande à la Terre de Feu, les gouvernements ont, à demi-mots, menacé les Européens de représailles.
Vincent Vialard, un jeune Bordelais de 31 ans, a fait l’expérience de cette mauvaise ambiance. Ce même 18 juin, il atterrit, avec un ami, à l’aéroport de Rio de Janeiro pour un séjour d’un mois au Brésil : ils se font refouler manu militari, reconduits sans justification par un gradé de la police fédérale. «Il nous a dit qu’un de ses amis avait été expulsé de France, et donc que nous n’étions pas les bienvenus.» Vincent Vialard et Fabrice Valade - 33 ans - présentent pourtant des justificatifs en règle : passeports d’une validité supérieure à six mois et billet retour, comme l’exige le consulat brésilien à Paris. Le policier remplit cependant deux ordres d’expulsions alléguant une «insuffisance de moyens de subsistance» pour le séjour des deux jeunes Français. Ceux-ci affirment pourtant avoir montré 400 euros en liquide chacun, ainsi que des cartes de crédit en cours de validité. La législation brésilienne signale que les étrangers de passage au Brésil doivent justifier avoir de quoi assurer leurs besoins durant leur séjour, mais elle ne précise pas le montant. Aucun détail n’est d’ailleurs disponible avant le départ auprès des consulats brésiliens en Europe. Bref, c’est à la tête du client. Et ce jour-là Vincent Vialard et Fabrice Valade ont eu affaire à une mauvaise tête policière.
«Dans un premier temps, j’ai refusé de monter dans l’avion de retour. "Vous partez où vous irez faire les petites putes dans une prison brésilienne", nous a répondu le policier. Là, j’ai eu peur.» Les deux touristes demandent à contacter le consulat français, mais le gradé refuse. Retour immédiat vers Paris donc, via Lisbonne. Le consulat de France à Rio essaie d’en savoir plus. Il s’étonne surtout de l’interdiction qui a été faite aux deux touristes de contacter ses services.
«Xénophobe». La «directive retour» du 18 juin a contribué à chauffer les esprits. Une mesure «xénophobe» avait protesté le président brésilien Lula. «Le Brésil, qui a reçu des millions d’immigrants, déplore une décision qui contribue à créer une perception négative de l’immigration», a ajouté son ministre des Affaires étrangères.
Pour tenter d’harmoniser un peu les législations, l’Europe fixait par sa directive un seuil maximum de dix-huit mois de rétention pour les immigrés clandestins. C’est ce chiffre qui a mis le feu aux esprits latino-américains. «Directive de la honte», a lancé, une semaine avant le vote, le président bolivien, Evo Morales, dans une lettre aux députés européens : «Nous nous réservons le droit, écrivait-il alors, d’imposer aux citoyens européens les mêmes obligations de visas» qui sont imposés aux visiteurs boliviens en Europe.
La menace semble néanmoins peu crédible : instaurer l’obligation de visas ne pourrait que freiner l’économie du tourisme des pays latino-américains. Tous les voisins de Lula et d’Evo Morales les ont suivis. Cette directive «est absolument injuste et peu chrétienne», a estimé le président péruvien, Alan García. Auparavant, le président vénézuélien, Hugo Chávez, connu pour son verbe haut, avait menacé de couper ses ventes de pétrole aux pays de l’UE. Sauf que le Venezuela, cinquième exportateur mondial de brut, a pour principal client les Etats-Unis, et ne vend quasiment pas de pétrole aux pays européens.
Frictions. Reste que la directive pourrait multiplier les mésaventures de certains touristes européens. Le renforcement général des contrôles aux frontières européennes avait déjà dégénéré, début mars, en de sérieuses frictions diplomatiques entre le Brésil et l’Espagne. Suite à des reconduites successives de plusieurs Brésiliens à l’aéroport de Madrid, Brasília avait adopté des «mesures appropriées […], en prenant en compte le principe de réciprocité». Résultat : une vingtaine d’Espagnols ont été refoulés du Brésil dans les jours suivants. La tension était ensuite retombée. Mais le vote de la «directive retour» pourrait compliquer à nouveau le tourisme transatlantique.
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