mercredi 28 mai 2008

Aux Tattes, les conditions de vie des déboutés de l’asile se dégradent

Lire dans la Tribune de Genève

INSALUBRITÉ | 00h05 Les ex-requérants sont désormais tous regroupés à Vernier. Visite des lieux.

© pascal FRAUTSCHI | Le centre des Tattes, à Vernier.

ERIC BUDRY ET MARC GUÉNIAT | 28 Mai 2008 | 00h05

Comme ailleurs à Genève, le soleil brille ce matin-là au centre des Tattes de Vernier. Au milieu des onze immeubles, la cour semble plongée dans une torpeur très méridionale. Des Africaines en pagne vaquent à leurs occupations.
Malgré ce calme apparent, les Tattes sont en pleine mutation. Responsable de l’asile, l’Hospice général réorganise l’affectation de ses centres afin de s’adapter à la nouvelle Loi sur l’asile, approuvée en votation fédérale le 24 septembre 2006. Depuis le 1er janvier s’opère le transfert de tous les déboutés vers les Tattes, tandis que ceux qui conservent un espoir de rester en Suisse se dispersent dans le canton. Le processus de concentration arrive à son terme.
Cent quarante-neuf personnes sont arrivées sur les lieux, près de cent quatre-vingt les ont quittés. Déjà fort délabrée lors de notre première visite en août, une partie des immeubles frise l’insalubrité. Notamment parce que, censés nettoyer les lieux communs (cuisine et sanitaires), les déboutés, composés à 70% d’hommes seuls, délaissent ces tâches. C’est le cercle vicieux: face à des douches parfois moisies d’où ne sort que de l’eau bouillante et des cuisines repoussantes, les nouveaux arrivants aux Tattes se demandent pourquoi ils entretiendraient un tel endroit.
Travaux délaissés
Depuis que s’y concentrent les seuls déboutés, le défaitisme ambiant forge les esprits. Effet de la nouvelle loi, ils ne reçoivent plus que l’aide d’urgence: dix francs par jour. «Ils doivent pointer tous les quinze jours pour obtenir cette aide», explique François Barranco, responsable de l’unité des Tattes. Et participer aux tâches de nettoyage est encore moins lucratif qu’auparavant (lire ci-dessous). «Seuls quatre d’entre eux travaillent encore. C’est illusoire, mais je dois faire avec», poursuit le cadre de l’Hospice.
L’homme ne cache pas les problèmes qu’il rencontre et prie pour que les 460 places du centre ne soient pas toutes occupées. Surtout que son personnel a été réduit à sa plus simple expression. «La gestion est très complexe. Mon travail consiste à faire comprendre aux déboutés qu’ils n’ont plus aucune chance de résider en Suisse», relève François Barranco. Rares sont pourtant ceux qui usent de l’aide au départ, 4000 francs répartis entre le canton et l’Office des migrations. «Sachant que leur renvoi est imminent, la plupart préfèrent entrer dans la clandestinité», souligne François Barranco.
Selon lui, depuis le 1er janvier, un tiers des résidants a disparu des statistiques! Mais certains de ces nouveaux clandestins ne quittent pas définitivement les lieux. «De nombreux squatters, d’ici ou d’ailleurs, dorment ici», déplore le responsable. Ce phénomène engendre, selon un résidant, quatre à cinq interventions de la police par semaine.
Conscient de l’état alarmant des infrastructures, l’Hospice a sollicité l’Etat pour réparer stores et tuyauterie: «La réponse tarde à venir», reconnaît Jean-Luc Galetto, directeur de l’Aide aux requérants d’asile. Au Département des constructions, Laetitia Guinand affirme que la réfection des stores attendra «au moins» 2009. «Les travaux sont planifiés en fonction de l’urgence et il n’y pas le budget pour le moment», explique-t-elle. De plus, la convention déterminant qui paie quoi entre le DCTI, l’Hospice et son département de tutelle est échue.
Concernant les difficultés à entretenir les locaux communs, Jean-Luc Galetto admet être désemparé. «Nous songeons à supprimer l’aide en argent à ceux qui ne coopèrent pas, conclut-il. Ils ne recevraient plus alors que des plateaux-repas.»

«Que peut-on faire avec 10 fr.?»

L’homme qui nous reçoit a le désespoir souriant. Cet Africain explique sans détour, mais sans emphase, que sa situation a nettement empiré depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l’asile. Logé aux Tattes depuis deux ans, il fait pourtant partie de la toute petite minorité des déboutés qui accepte encore de participer aux travaux de nettoyage. Pourquoi? «Pour ne pas devenir fou.»
Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis le regroupement des déboutés aux Tattes?
Tout a changé. Nous sommes dans une situation très pénible. L’ambiance est devenue plus lourde. Je constate même une certaine froideur entre les déboutés. Les gens sont tristes.
Qu’est-ce qui vous manque par exemple?
Il n’y a plus d’infirmiers et moins d’assistants sociaux. Maintenant, quand on est malade, on doit se rendre aux Charmilles le lundi ou le vendredi. Avant, ils étaient ici.
Et l’argent?
L’aide pour se nourrir est de 10 francs par jour. Que peut-on faire avec 10 francs? Je ne mange presque plus de viande. Avant, nous recevions 400 francs par mois, et nous pouvions gagner 300 francs de plus en travaillant.
Un petit supplément est toujours possible, non?
Oui, on nous offre 50 francs de plus par mois pour vingt heures de travail, soit le même nombre d’heures qu’auparavant. La plupart des gens renoncent à effectuer ces travaux pour une telle somme. Moi, je le fais quand même, pour m’occuper. Si on ne fait rien, on se détruit. Je travaille pour ne pas devenir fou.
Mais comme vous êtes très peu à effectuer les tâches collectives, la saleté s’installe.
C’est vrai, presque plus personne n’effectue les nettoyages. Pour 50 francs par mois, les gens ne le font plus. Même s’il y a une liste avec le nom des personnes qui en sont chargées. Avant, lorsque le travail n’était pas fait, quelque chose était retranché de l’aide. Aujourd’hui, que voulez-vous qu’ils enlèvent?
Cela ne vous donne-t-il pas envie de retourner au pays?
Pas au prix de ma vie. Un de mes compatriotes est rentré. Il a immédiatement disparu et personne ne l’a jamais revu. J’ai souvent expliqué tout cela, mais les autorités suisses ne veulent pas comprendre.
Que faites-vous pour vous occuper?
De temps en temps je vais en ville. J’essaie aussi de faire un peu de sport. Et puis, je parle avec les gens de l’Agora (ndlr: la permanence installée par les Eglises à côté du centre). On discute, on partage un repas. Ils sont vraiment devenus ma seconde famille.
Propos recueillis par E.By et M.Gt

L’aide d’urgence
Elle se résume à 10 francs par jour ou à des plateaux-repas; elle concerne les déboutés, regroupés aux Tattes, et les NEM (non-entrée en matière), logés au centre du Lagnon. L’asile à Genève
A mi-mai 2008, 3257 personnes relèvent du droit d’asile dans le canton. Parmi elles:
- 957 sont des requérants;
- 1787 sont en admission provisoire;
- 358 sont des déboutés;
- 155 sont en attente du réexamen de leur situation. En plus, 55 personnes se sont vues signifier une non-entrée en matière (NEM). Des gagnants
En 2007, Genève a demandé la régularisation de 233 requérants, déboutés pour la plupart. Berne n’en a refusé que deux.

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