Dans deux centres de rétention administrative de la région parisienne, des étrangers en instance d’éloignement se sont mis en grève de la faim pour protester contre les conditions de leur interpellation et de leur incarcération. Ils dénoncent les arrestations «arbitraires» dont ils sont l’objet, les conditions de rétention «indignes», les fouilles «humiliantes», les comptages de nuit répétés et le manque d’hygiène qui leur sont imposés, et se plaignent d’être «traités comme du bétail». Les objectifs chiffrés fixés par le gouvernement pour les reconduites à la frontière ont conduit l’administration à accélérer les procédures et à multiplier, fin 2007, les pratiques arbitraires et les mauvais traitements. Pourtant, ces situations sont le lot commun de ce que vivent tous les jours, sans avoir été condamnés ni jugés, les étrangers, réfugiés, demandeurs d’asile, sans-papiers, dans les multiples lieux d’enfermement administratif qui sont devenus un élément clé de la politique migratoire.
La France est loin d’être la seule concernée : en septembre 2007, sept demandeurs d’asile iraniens sont montés sur le toit du centre de rétention de Nicosie, à Chypre, pour attirer l’attention sur leur sort. Parmi leurs griefs, la durée excessive de leur détention, dans des conditions matérielles et d’hygiène très médiocres, et le comportement violent de la police à leur égard. Au Danemark, en mai 2007, de sévères critiques ont été émises par le comité contre la torture du Conseil de l’Europe sur les conditions de vie des étrangers consignés dans des centres pendant des années en attendant qu’une décision soit prise sur leur sort. Les associations belges dénoncent un régime quasi pénitentiaire provoquant des «ravages humains». A Malte, les observateurs mettent de façon récurrente en garde contre la surpopulation, l’insalubrité, l’hygiène déplorable, l’insuffisance de la prise en charge médicale, l’isolement, les violences policières auxquelles sont soumis les étrangers dans les camps de détention où ils restent de longs mois. La liste serait longue s’il fallait recenser tous les accidents, toutes les tentatives de suicide, toutes les humiliations qui constituent le quotidien dans les camps d’étrangers.
Il n’existe pas de «bonnes» conditions de rétention. Comme le démontrent toutes les observations menées sur le terrain par les ONG ou les chercheurs, comme ceux du réseau Migreurop [réseau européen de militants et chercheurs dont l’objectif est de dénoncer les dérapages des politiques d’asile en Europe, ndlr], l’internement administratif auquel sont soumis les étrangers en Europe est par sa nature même porteur de violations, plus ou moins systématiques, plus ou moins inévitables lorsqu’elles ne sont pas volontaires, de leurs droits fondamentaux : en premier lieu, la liberté d’aller et venir, mais aussi le droit d’asile, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants, ou encore les droits spécifiques des mineurs.
A la racine de ces traitements, on trouve le choix opéré par l’Europe d’une fermeture sélective des frontières, qui privilégie l’immigration «utile» - celle qui permet de répondre aux besoins de main-d’œuvre des Etats membres - au détriment, notamment, de l’immigration familiale pourtant facteur d’intégration. De ce fait, l’essentiel des efforts des Etats membres de l’UE en matière de politique migratoire a porté, au cours des dix dernières années, sur la lutte contre l’immigration irrégulière. Après les charters pour organiser des expulsions collectives, après les murs et les grillages pour empêcher les migrants de venir en Europe, ils discutent en ce moment de l’harmonisation de leurs législations en matière de rétention et d’expulsion des étrangers en situation irrégulière.
Dans ce cadre, la directive «relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier», qui sera soumise au vote du Parlement européen dans les premiers mois de 2008, ouvre la voie à la généralisation d’une politique européenne d’internement des migrants. Loin de réserver l’enfermement administratif à des circonstances exceptionnelles, ou dans le seul but d’organiser leur éloignement, elle prévoit qu’il pourra être ordonné dès lors que l’étranger frappé d’une mesure d’expulsion présentera un risque de fuite ou constituera une menace à l’ordre public. Or, aucune définition de la notion de «menace à l’ordre public» ne vient en encadrer l’utilisation. Quant au «risque de fuite», on peut craindre qu’il ne soit toujours présumé par les Etats ! Il faut donc s’attendre, si la directive est adoptée, à la prolifération sur le territoire européen de camps où les étrangers, populations indésirables, seront placés sous contrôle.
Ce n’est pas tout. Dans ces lieux de mise à l’écart, les étrangers ne seront pas qu’en transit, enfermés le temps que soit organisé leur départ. La directive propose que la détention, d’une durée de trois mois, puisse être prolongée jusqu’à dix-huit mois dans le cas où l’étranger ne coopère pas à son éloignement, ou s’il représente une menace pour l’ordre public, ou encore si l’administration rencontre des difficultés pour obtenir les documents de voyage. Lorsque l’on sait qu’en moyenne, en France, l’éloignement d’un étranger intervient dans les dix premiers jours de sa détention, la prolongation de celle-ci pendant un an et demi ne s’inscrit plus seulement dans une recherche d’effectivité et de rationalisation des procédures, mais vise d’autres objectifs. Lesquels ? Il s’agit d’abord, après le contrôle et la mise à l’écart, de punir et de dissuader. Mais aussi de lancer un message. Aux opinions européennes d’une part, parce qu’en évoquant la prison, le camp d’étrangers alimente dans les esprits l’association étrangers=délinquants, qui à son tour sert à justifier les mesures prises par les autorités en matière de lutte contre l’immigration clandestine, notamment la criminalisation du séjour irrégulier, et plus généralement de durcissement des lois relatives aux étrangers. Aux opinions des pays d’origine des migrants d’autre part, par le «signal fort» envoyé par ce biais aux candidats à l’émigration. Non forcément pour les empêcher de prendre la route. Mais, en faisant peser sur eux la menace permanente de l’interpellation, de l’internement et du renvoi, pour leur rappeler la précarité de leur statut, pour les pousser à l’invisibilité et favoriser leur exploitation.
Dès 1993, en désignant haut et fort comme les «oubliettes de la République» le sinistre «dépôt» de Paris qui servait de centre de rétention, le Gisti obligeait les autorités à le fermer temporairement. Notre vigilance est plus que jamais d’actualité : exigeons de savoir ce qui se passe derrière les barreaux des zones d’attente et des centres de rétention ! Ne laissons pas adopter la «directive de la honte» !
Le Gisti est signataire de l’appel aux parlementaires européens : «Non à la directive de la honte». www.directivedelahonte.org/
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