Lisez la critique d'Ariel Herbez dans le Temps:
Des rois nègres en haut-de-forme et réveil en sautoir, des tyrans asiatiques fourbes et cruels aux longues moustaches tombantes, des commerçants juifs cupides au nez crochu, de Flash Gordon à Zig et Puce en passant par le dérapage d'Hergé dans L'Etoile mystérieuse, la bande dessinée du début du XXe siècle fourmille de clichés colonialistes, paternalistes, racistes ou antisémites.
C'est à une plongée formidablement documentée que nous invite l'exposition Alter Egaux, présentée à Lausanne par le Bureau pour l'intégration des immigrés, dans le cadre d'une semaine d'actions contre le racisme. Imagerie négative et réductrice, mais aussi, progressivement, visions positives et généreuses de la diversité des peuples. Plus de 160 extraits en cases, accompagnés de textes précis et fouillés qui mériteraient une publication, reflètent l'évolution du 9e art, mais aussi et surtout des mentalités et de la société. Jusqu'à la rencontre avec... les Martiens.
«Peu de vrai racisme»
L'intérêt de ce travail de recherche est qu'il ne se contente pas d'évidences hâtives, grâce aux compétences du commissaire de l'exposition, notre collaborateur Roger Gaillard, et de Cuno Affolter, conservateur à la Bibliothèque municipale de Lausanne, qui ont puisé jusqu'aux tréfonds des riches collections de la bibliothèque. Ainsi, aux côtés d'auteurs connus, d'Hergé à Zep en passant par Hugo Pratt, Marjane Satrapi, Art Spiegelman ou les «BD-reporters» comme Joe Sacco ou Patrick Chappatte, on découvre les regards du Gabonais Pahé (édité chez le genevois Paquet), du Serbe Zograf ou de la scénariste ivoirienne Marguerite Abouet.
«Ce qu'on a pu constater, souligne Roger Gaillard, c'est qu'il y a finalement très peu de vrai racisme, agressif et haineux, dans la bande dessinée. On y voit plutôt un racisme mou, pas très conscient, typique d'une époque dominée par la bonne conscience coloniale. Avec quelques exceptions comme les Pieds Nickelés, aux positions antiracistes très osées pour leur temps. Puis la BD évolue clairement vers la dénonciation du racisme et une perception plus ouverte du monde, dégagée de cette imagerie, qui n'était d'ailleurs de loin pas propre à cette forme d'expression.»
Car celle-ci était le reflet de son temps: «Je n'aimais pas les coloniaux [...] mais je ne pouvais pas m'empêcher de considérer les Noirs comme de grands enfants», dira Hergé en 1974, pour justifier les clichés naïfs et paternalistes de Tintin au Congo, un sujet qu'il aborde sans enthousiasme, sur l'injonction du directeur de son journal, Le Vingtième Siècle. Il a été fortement critiqué pour cette œuvre de jeunesse (il avait 22 ans en 1930), mais il s'est plus que rattrapé dans Le Lotus bleu, notamment, avec l'exemplaire leçon d'antiracisme et d'amitié de la rencontre de Tintin avec Tchang. «La plainte pour racisme déposée contre l'album en 2007 par un étudiant congolais de Bruxelles est absurde, note Roger Gaillard, cela n'a aucun sens de vouloir censurer un produit typique d'une époque; il faudrait alors interdire une bonne partie de la littérature de cette période!»
Attention: l'exposition ne dure qu'une semaine. Mais elle est destinée à circuler.
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