Lire l'édito de Didier Estoppey dans Le Courrier
Ils ne dorment plus sous nos ponts. Hier, par un petit matin glacial, une trentaine de Roms de Roumanie, les derniers à avoir résisté à un climat d'opprobre public plus réfrigérant encore que les rigueurs de l'hiver naissant, ont quitté les rives de l'Arve pour l'abri temporaire que leur offrent si généreusement les autorités genevoises. En espérant ne pas faire de vieux os et pouvoir monter dans le premier bus pour Bucarest.
Mardi, en conférence de presse, le conseiller d'Etat Laurent Moutinot commentait un «plan de lutte contre la mendicité» très attendu en lui fixant, pour première priorité, la solidarité et la dignité humaine. Attendu au contour, il commençait aussi par préciser que le but de l'opération n'était pas de lutter contre les mendiants. Mais le politicien est visiblement doué d'une capacité d'adaptation hors du commun. Dans une longue interview publiée hier par un journal de boulevard (Le Matin), il affirme quasiment le contraire de ce qu'il avait tenu à préciser mardi. A la première question, qui est de savoir s'il va «vraiment pourrir la vie des Roms à Genève», le magistrat socialiste répond: «Oui, parce qu'on ne peut pas s'occuper de toute la misère du monde.»
Voilà qui est plus clair. Faites circuler cette misère que nous ne saurions voir. Le message a d'ailleurs été parfaitement intégré par les Roms avant même que ne débute le «dialogue» que prétendaient engager avec eux les autorités. La plupart d'entre eux avaient déjà plié bagages, ne souhaitant pour rien au monde être fichés par la police et risquer une interdiction de séjour. Et ceux pris en charge hier n'avaient qu'une demande: un ticket de retour dans les meilleurs délais.
A ce stade, l'opération semble donc une réussite totale, même si libéraux et udécistes, qui ne voudraient pas abandonner si facilement leur nouveau fonds de commerce, continuent à hurler à l'interdiction et au bannissement. Restent des questions. Ces mendiants, dont on ne veut plus voir aujourd'hui un seul passer l'hiver dehors, étaient déjà sous nos ponts l'hiver dernier. Sans que, apparemment, personne ne s'en émeuve. Un reportage de «Temps présent», diffusé le printemps dernier par la TSR, avait même montré des images poignantes d'abris de fortune ravagés par un incendie suspect. L'opinion publique n'aura retenu de l'émission que l'illégalité des amendes infligées aux mendiants, suspendues depuis lors par Laurent Moutinot. Puis les polémiques subséquentes, alimentées par le sentiment d'invasion cultivé par certains médias et politiciens.
Les autorités marchent depuis lors sur des oeufs. Il serait facile de condamner d'un verdict sans appel leur tentative de grand écart entre tentations humanistes et pressions populistes. L'incapacité de cette Genève prétendument internationale à accepter et gérer quelques dizaines de Roms venus quêter les miettes d'une Europe qui les a totalement oubliés doit tous nous interpeller. Les ponts franchissant l'Arve ont repris digne allure. Il n'en va pas de même de nos consciences.
L'édito se réfère en particulier à cet événement
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