jeudi 21 décembre 2006

La naturalisation ordinaire est un parcours du combattant

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La nationalité fait l’objet de débats.
Une étude présentée hier souligne que les procédures suisses sont parmi les plus restrictives. Le point avec le constitutionnaliste Michel Hottelier.

Et si la nationalité suisse était soumise à une période d'essai? La presse a révélé ce week-end que cette idée, défendue par Christoph Blocher, est actuellement examinée par l'Office fédéral des migrations (ODM). En 2004, la conseillère nationale Jasmin Hutter (UDC/SG) proposait déjà de supprimer la double nationalité, autorisée depuis 1992. Et l'initiative «Pour des naturalisations démocratiques» a été déposée en novembre 2005 par l'UDC. La nationalité suscite donc de nombreux débats, et le ton est au durcissement. Pourtant, comme le souligne une étude parue hier (lire ci-dessous) , la pratique suisse est l'une des plus restrictives d'Europe. Le professeur genevois Michel Hottelier nous livre son analyse.

- L'UDC défend différentes réformes du droit de la nationalité. A votre avis, le système actuel est mauvais?
- Non, notre système n'est pas mauvais. En tout cas pas dans le sens où l'entendent certains politiciens. Mais il est perfectible. Depuis des décennies, on s'interroge sur une simplification des procédures ordinaires de naturalisation. Et pourtant, certaines choses n'ont pas changé. C'est le cas de la durée de séjour nécessaire avant de pouvoir briguer la nationalité suisse: elle est de douze ans, le temps le plus long en Europe. A l'époque du village global, c'est excessif!
- On assiste à une certaine libéralisation. Depuis 1992, la double nationalité est reconnue. Et les conjoints étrangers peuvent bénéficier d'une naturalisation facilitée.
- C'est vrai. Mais le simple fait de parler de naturalisation facilitée montre que cette procédure, qui n'est d'ailleurs pas prévue pour les immigrés de la deuxième et de la troisième génération, n'est pas ordinaire. Et que la naturalisation ordinaire n'est pas facile. C'est exactement le problème: pour les étrangers, cette dernière est un parcours du combattant. D'ailleurs, la Suisse n'a pas pu signer la Convention du Conseil de l'Europe sur la nationalité, du 6 novembre 1997, contrairement à la plupart des Etats européens. La raison? Notre pratique est trop sévère par rapport aux standards européens, et plus particulièrement en ce qui concerne la durée de séjour.
- Et que pensez-vous de la nationalité à l'essai?
- Cette proposition est probablement l'une des plus mauvaises réponses que l'on puisse apporter aux problèmes liés à la criminalité. La délinquance en Suisse n'a rien à voir avec la nationalité: ce n'est pas parce qu'on naturalise plus ou moins qu'on a plus ou moins d'infractions. Et cela rendrait encore plus difficile une procédure qui est déjà, à mon avis, ultracompliquée.
- Cette pratique existe-elle ailleurs?
- Dans quelques cas exceptionnels, dans notre pays, une personne peut perdre sa nouvelle nationalité, par exemple s'il y a eu une déclaration mensongère durant la procédure de naturalisation ou si un double national porte gravement atteinte aux intérêts de la Suisse. A part cela, le bannissement de la nationalité se pratiquait à l'époque dans certains Etats du bloc de l'Est. Principalement à l'égard de dissidents, et pour des raisons politiques. Et ces Etats n'étaient pas vraiment des modèles dans le domaine des droits de l'homme.
- Il a aussi été question de problèmes en regard du droit international.
- La Suisse a adhéré au Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques et à la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. Elle s'est ainsi engagée à garantir à tout enfant le droit à une nationalité. Mais cette dernière proposition remet en cause ce principe. Que l'on regarde le casier judiciaire d'une personne au moment où on la naturalise, c'est légitime. Mais ensuite, vous ne pouvez pas donner un passeport qui ressemblerait à un permis à points. La Convention du Conseil de l'Europe sur la nationalité l'interdit d'ailleurs.
La procédure est restrictive? C’est la faute au fédéralisme!

Notre procédure de naturalisation est l’une des plus restrictives d’Europe.


Des historiens de l'Université de Berne le soulignent eux-aussi, dans une étude sur l'évolution du droit de cité depuis 1874, présentée hier. Ils rappellent que le délai avant de pouvoir déposer une demande est plus long que dans l'Union européenne, dont les pays prévoient, dans leur majorité, une naturalisation facilitée pour les étrangers de deuxième génération. Les chercheurs se sont penchés sur l'origine de la pratique helvétique.

Au XIXe siècle, la Suisse se montrait libérale, comme le reste de l'Europe: la libre circulation des personnes était garantie sur le continent grâce à des accords bilatéraux. «Ensuite, notamment durant la Première Guerre mondiale, on a commencé à voir les étrangers comme des dangers, raconte Brigitte Studer, coauteure de l'étude. On a depuis lors assisté à un durcissement progressif de la pratique et du discours.» En 1934, la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers définit le degré de «surpopulation étrangère» comme critère pour autoriser ou non l'arrivée de migrants. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, 138 Suisses, principalement actifs dans le national-socialisme, sont déchus de leur nationalité. En 1952, la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse relève à douze ans la durée de résidence requise et introduit le principe d'un examen d'aptitude. «A l'époque, la Suisse n'était pas isolée puisque d'autres pays étaient également restrictifs, précise Brigitte Studer. Mais ensuite, nous n'avons pas connu de grands changements, contrairement à nos voisins.» Depuis la fin des années quatre-vingts, on assiste à une nouvelle ouverture. Mais, soulignent les historiens, les pratiques varient selon le canton ou la commune.

Pourquoi la naturalisation est-elle plus difficile à obtenir en Suisse qu'à l'étranger? «Je dirais que c'est surtout dû au rôle joué par les communes dans la procédure, explique l'historienne. C'est au niveau local que s'expriment le plus les intérêts subjectifs et parfois arbitraires.» Le Genevois Michel Hottelier montre lui-aussi du doigt le fédéralisme: «Lorsqu'un étranger qui n'a pas de lien matrimonial avec un Suisse ou une Suissesse veut se faire naturaliser, il n'entame pas une, mais trois procédures - aux niveaux communal, cantonal et fédéral.» Conséquence de tout cela: les critères varient d'une région à l'autre. Dans leurs conclusions, les historiens bernois en appellent donc à une harmonisation. Pour des raisons d'efficacité, mais aussi de justice.

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