SANDRINE FATTEBERT
Publié le 21 novembre 2006
DÉBOUTÉ: Léo ne veut pas entrer en clandestinité pour se soustraire à son renvoi. Pourtant, à son retour au Cameroun, il risque de devoir purger de six mois à trois ans de prison pour désertion. / OLIVIER ALLENSPACH |
«Si j'avais accepté de tuer ce journaliste, comme on me l'avait demandé, je ne serais pas ici», regrette Léo, 30 ans, à quelques heures de son renvoi au Cameroun. Les traits tirés et la voix douce, l'ancien militaire raconte son histoire.
Soldat de formation, il devient garde du corps du président camerounais Paul Biya qu'il accompagne lors de ses déplacements à l'étranger.
De l'armée au fromage
«J'avais la belle vie!», admet l'Yverdonnois dans un soupir. Mais tout se gâte en février 2005. Les préparatifs du séjour du chef d'Etat à La Baule terminés, une partie de l'équipe et lui sont envoyés à Lausanne. Au Palace, son capitaine lui fait miroiter la perspective d'appartenir à la grande famille des proches du président. Une adhésion qui a un coût: assassiner un journaliste radio à son retour au pays. «J'ai demandé à réfléchir. Et c'est là où j'ai eu un déclic. Un de mes collègues avait refusé de liquider le cardinal Christian Toumi et il a été retrouvé mort quelques jours plus tard.» La même nuit, il déserte pour se présenter au Centre d'enregistrement de Vallorbe.
«On m'a dit que pour s'intégrer, il fallait travailler.» Il trouve un emploi à la fromagerie Conod, à Baulmes, où il laisse le souvenir d'un travailleur consciencieux. Son transfert à Yverdon l'oblige à changer d'emploi. Il s'inscrit alors auprès d'une société de travail temporaire.
Réfugié par amour?
Digne d'un roman de politique-fiction, la version de Léo ne convainc pas l'Office des migrations (ODM). Pour celui-ci, il est invraisemblable que Léo ait reçu un tel ordre hors de son pays, soit avec la possibilité de fuir en cas de refus. De plus, Léo ne parvient pas à indiquer correctement le nom de sa prétendue victime. Quant aux causes et circonstances de la mort de son collègue, l'office fédéral estime qu'elles relèvent de la pure hypothèse.
A ses yeux, Léo a demandé asile pour retrouver une compatriote, rencontrée lors de précédents voyages en Suisse. Or, si la mise en danger de son intégrité corporelle ou une pression psychique insupportable sont des critères pris en compte par l'ODM, l'amour n'en est pas un. Sa violente altercation avec une collaboratrice de la Fareas à Yverdon n'arrange rien à son dossier.
Retour à la case départ
Aujourd'hui, Léo devrait déjà avoir quitté le territoire suisse. Au Cameroun, il risque d'écoper de six mois à trois ans de prison pour désertion. «Le fait d'avoir appartenu à la garde présidentielle démontre que Léo est issu d'une famille aisée et influente. Il dispose ainsi (…) des moyens et relations nécessaires pour se soustraire à une longue détention préventive, voire à une peine ferme», relève l'ODM sur la base des renseignements de la représentation suisse au Cameroun.
Léo, lui, dément appartenir à la classe aisée de son pays. Va-t-il choisir la clandestinité pour échapper à son renvoi? «Non. Pour moi, c'est fini. Je veux juste que les gens d'ici sachent ce qu'il m'arrive…»
* Prénom fictif.
La version de Léo est plausible
S. F.
Lazila*, à la tête d'une fondation pour enfants défavorisés au Cameroun, est proche d'un membre de la rédaction. Pour elle, la version de son compatriote Léo est plausible. «En effet, il est assez courant ici qu'un journaliste parvienne à travers ses multiples relations à intégrer la sphère politique, à la côtoyer d'assez près pour être au fait de quelque affaire douteuse. Et s'il se montre soucieux d'en informer le public, soit ce souci est «endormi» par les offres juteuses de la corruption, soit sa tête est mise à prix. Qu'il soit retrouvé mort ou qu'il disparaisse, l'affaire est très facilement démentie, étouffée et classée par les forces de l'ordre, souvent parce qu'elles sont originaires du même groupe ethnique que la haute personnalité mise en cause. Le véritable nom de Léo est typique de cette ethnie-là (Fang-Béti, Bulu plus particulièrement). D'autre part, il y a tout un réseau mafieux qui empêche et dissuade toute investigation, en particulier lorsqu'il s'agit d'affaires concernant la présidence. C'est un sujet presque tabou et la loi du silence est de mise. Mais les gens ne sont pas dupes. Ils sont seulement impuissants ou eux-mêmes corrompus par le désir de préserver leurs intérêts personnels.»
* Prénom fictif.
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