vendredi 22 septembre 2006

Des souffrances supplémentaires

«Ces lois pourraient générer des souffrances supplémentaires»

Interview de Patrick Bodenmann, chef de clinique et responsable médical du Centre de santé infirmier (CSI) pour les requérants d’asile, à la Policlinique médicale universitaire à Lausanne.


Patrick Bodenmann:
«Selon plusieurs études, le syndrome de stress post-traumatique est dix fois plus fréquent parmi la population de migrants. Il y a donc un réel besoin d’assistance psychologique.»

— Depuis avril 2004, les per­sonnes frappées d’une déci­sion de non-entrée en ma­tière (NEM) ne touchent plus l’aide sociale, et reçoivent une aide d’urgence (mini­mum vital). Cette situation a-t-elle des conséquences sur leur santé?
— Selon les données que nous avons recueillies, les NEM sont en très grande majorité des hom­mes, âgés de 25-26 ans et céliba­taires. Ils ont effectué un long voyage pour venir en Suisse et on se dit qu’ils devraient être en relative bonne santé. Mais nous avons été étonnés de l’impor­tante présence de troubles psy­chologiques et psychiatriques dans cette population. Ces per­sonnes souffrent souvent de dé­pression, d’anxiété, d’angoisse gé­néralisée ou encore de syndrome de stress post-traumatique.
— Comment l’expliquez-vous?

— Pour répondre précisément, il faudrait étudier ce phénomène. Il est difficile de savoir si la situa­tion qu’ils vivent est la cause de ces pathologies, mais on peut imaginer que les conditions dans le pays hôte ont une probable influence. Souvent, les jeunes hommes que je rencontre sont peu au clair face à leur situation, ne connaissent pas très bien leurs droits et leurs obligations. Bref, ils
sont dans le flou et manquent de repères.
— Si le peuple accepte la nou­velle loi sur l’asile, les requé­rants déboutés et tenus de quitter la Suisse seront trai­tés comme les NEM. Cela aura-t-il des conséquences?
— Si les deux modifications sou­mises au peuple sont acceptées, certaines personnes seront plus vulnérables et cela aura probable­ment un impact sur leur santé. Des études publiées dans la presse médicale l’ont déjà mon- tré: quand un pays durcit sa pra­tique face aux migrants, certaines de leurs pathologies, notamment mentales, tendent à s’aggraver et à devenir chroniques. Les nouvel­les lois pourraient donc générer des souffrances supplémentaires, et donc également des coûts.
— Comment soignez-vous ces personnes?
— Il faut les suivre, le mieux possi­ble. Mais dans le cas des NEM, nous nous heurtons à une diffi­culté: ils n’ont droit qu’à une aide d’urgence. Qu’est-ce que cela signi­fie?
Est-ce qu’il faut simplement garantir leur survie ou l’urgence peut-elle être vue de façon plus vaste? Dans le canton de Vaud, nous avons la possibilité d’appor­ter des soins à ces personnes grâce aux soutiens du monde politique et des institutions de santé. De façon plus générale, nous pouvons former les jeunes médecins et soi­gnants à la problématique de la santé des migrants, mettre en place des structures ou des grou­pes de réflexions pour permettre aux plus vulnérables d’avoir accès aux soins. Localement, cet ensei­gnement et cette réflexion sont en cours. En Suisse, les établisse­ments publics réfléchissent aux stratégies à mettre en place dans le cadre d’un programme appelé «Migrant Friendly Hospitals». Au niveau européen, un tel processus avait déjà débuté en 2004.
— Le monde médical s’en­gage en faveur des migrants alors que le politique insiste sur la nécessité de lutter con­tre les abus.
— Cela peut paraître contradic­toire, en effet; mais la Suisse s’est aussi engagée, en signant des con­ventions internationales ou par le biais de sa constitution, à fournir des soins à tous. La réalité est là et nous devons y répondre. Ceci dit, il arrive aussi que des organisations non gouvernementales, créées d’abord pour intervenir dans des pays en développement, prennent le relais des structures officielles pour parer aux nécessités dans des pays développés, y compris en Suisse.
CAROLINE ZUERCHER

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