Dans 24 Heures, Claude Schwab, pasteur, est invité à faire part de ses réflexions sur notre société, qui s'apprête à changer ses lois. Il s'appuie pour cela sur l’oeuvre de Dietrich Bonhoeffer et nous dit que «jamais le monde n’a été aussi dénivelé entre ceux qui sont en haut et ceux qui sont en bas».
Claude Schwab, pasteur
Il y a 100 ans naissait un théologien allemand qui a profondément marqué le XXe siècle. Dietrich Bonhoeffer n’a pas seulement été un penseur brillant et stimulant, mais il s’est illustré très tôt par sa lucidité et son courage. En 1933 déjà il a discerné et dénoncé le danger nazi: deux jours après l’accession de Hitler au pouvoir, il l’a traité publiquement de Verführer (séducteur) et, avec d’autres, il a protesté contre les toutes premières mesures antisémites (le «paragraphe aryen», excluant les juifs de l’administration). Par la suite, il anime des séminaires clandestins pour préparer des pasteurs luttant contre le nazisme et il s’engage dans les cercles de la résistance et dans la préparation de l’attentat manqué contre Hitler le 20 juillet 1944. Emprisonné pendant deux ans, il sera exécuté le 9 avril 1945 sur ordre express du Führer.
Le cheminement de Bonhoeffer est exemplaire: venant d’un milieu aisé, il ouvre les yeux sur la réalité sociale. Venant d’une Eglise luthérienne traditionnellement soumise au pouvoir temporel, il découvre la nécessité de la désobéissance: dans un milieu qui a ressassé une phrase de l’apôtre Paul rigidifiée dans un absolu («Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui» Romains 13,1), il faut de la lucidité pour réaliser que les autorités peuvent être démoniaques et du courage pour les combattre.
Dans la même logique, Bonhoeffer opère une conversion radicale pour la démarche théologique: dans ses lettres de prison, qui viennent d’être publiées en version intégrale, il invite à repenser le christianisme pour un monde devenu majeur: Dieu est descendu du ciel et, en la personne du Christ crucifié, est solidaire de toutes les luttes séculières pour plus de justice et d’humanité. Sans attendre quelque intervention miraculeuse d’un Dieu bouche-trou, nous sommes appelés à abandonner une obéissance infantile, à discerner et combattre les idoles, à être critiques face à ceux qui exercent le pouvoir et à lutter aux côtés des victimes.
«Cela reste une expérience d’une valeur incomparable que d’avoir appris tout à coup à regarder les grands événements de l’histoire mondiale à partir d’en bas, depuis la perspective des exclus, des suspects, des maltraités, des gens sans pouvoir, des opprimés et des honnis, en un mot de ceux qui souffrent». Ce bilan de Bonhoeffer au seuil de l’année 1943 est toujours d’une actualité pressante. D’autres tyrannies ont succédé à celle d’Hitler, peut-être encore plus perverses sous leurs déguisements apparemment respectables; jamais le monde n’a été aussi dénivelé entre ceux qui sont en haut et ceux qui sont en bas.
Quand un pays modifie ses lois, il décide s’il regarde d’en haut les étrangers et les demandeurs d’asile ou s’il se met à leurs côtés pour regarder d’en bas. Le jeu de balance de l’histoire nous apprend qu’aucune situation n’est jamais acquise pour l’éternité: dans le Magnificat, Marie célèbre un Dieu qui «jette les puissants à bas de leur trône et élève les humbles.»
Dietrich Bonhoeffer Résistance et soumission, lettres et notes de captivité, Labor et Fides, Genève 2006.
Neuchâtel accueille du 30 septembre au 3 octobre un colloque sur «Autonomie, obéissance et responsabilité en échos à l’oeuvre de Dietrich Bonhoeffer (1906-1945)».
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